Troubles du comportement alimentaire

Les liens entre violences, psychotraumatismes et troubles du comportement alimentaire
publié le 26 mai 2017 par
Dre Muriel Salmona, psychiatre, psychothérapeute, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie,

Introduction

De très nombreuses recherches internationales, toutes concordantes, ont démontré que les violences ont de lourdes conséquences à court, moyen et long terme sur la santé physique et mentale des victimes (MacFalane, 2010, Blake, 2011).

Depuis la grande étude épidémiologique des Dr Felitti et Anda sur les violences et les expériences négatives familiales de l'enfance (étude ACE - Adverse Childhood Expériences - conduite auprès de 17424 personnes adultes du département de médecine préventive Kaiser permanente dont les premiers résultats ont été publiés en 1998), qu’il y a une forte corrélation entre l’importance de l'exposition aux violences pendant l'enfance et les principales causes de morbidité et de décès précoces chez les adultes. Avoir subi des violences dans l’enfance est la première cause de suicide, de dépression, de conduites addictives, d’obésité, et peut faire perdre jusqu’à 20 ans d’espérance de vie.

Cet impact des violences sur la santé en font un problème de santé publique majeur. Il est lié à la gravité de leurs conséquences psychotraumatiques, les violences ayant le plus fort impact traumatique étant celles faites aux enfants ainsi que les violences sexuelles et les violences conjugales touchant majoritairement les femmes.

Des preuves récentes documentent les impacts neuro-biologiques de la violence, démontrant que le stress traumatique subi en réponse à la violence peut « nuire à l'architecture du cerveau, au statut immunitaire, aux systèmes métaboliques et aux réponses inflammatoires» (Hillis, 2016) et être à l’origine de dysfonctionnement des circuits émotionnels et de la mémoire, responsable de troubles dissociatifs et d’une mémoire traumatique qui faute de soins, s’installe dans la durée. Cette mémoire traumatique colonise les victimes leur faisant revivre à l’identique les violences au moindre lien qui les rappelle, comme une torture toujours renouvelée. Ces reviviscences sont tellement intolérables que les victimes traumatisées sont contraintes de mettre en place des stratégies de survie hors normes : conduites d’évitement, de contrôle pour que la mémoire traumatique ne se déclenche pas, conduites à risque dissociantes pour l’anesthésier et soulager ainsi la souffrance quand elle se déclenche (mises en danger, conduites addictives, etc.). Ces conduites de survie auront de lourdes répercussions sur leur qualité de vie et leur santé.

Les troubles du comportement alimentaire (TCA) font partie de ces conséquences sur la santé à court moyen et long termes des violences subies que ce soit dans l’enfance ou à l’âge adulte. Ils peuvent être l’expression d’une mémoire traumatique de ces violences, ou de stratégies de survie pour y échapper ou l’anesthésier. Les liens entre violences, psychotraumatismes et troubles du comportement alimentaire, (anorexie, boulimie ou hyperphagie boulimique) sont très bien documentés dans la littérature scientifique internationale, et encore plus particulièrement pour les violences sexuelles.

Connaître ces liens est essentiel, cela permet de mieux comprendre et prendre en charge les personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire, et de leur rendre enfin justice en reconnaissant l’origine traumatique de leur souffrance. Les troubles du comportement alimentaire ne sont pas des comportements auto-destructeurs, ils ne sont pas dus à un manque de volonté, ni à des troubles psychiatriques, ce sont des symptômes psychotraumatiques et des tentatives désespérées, dans la plus grande solitude, de trouver des solutions protectrices pour avancer pas à pas malgré de profondes blessures invisibles, et des souffrances indicibles et incontrôlables que personne n’imagine, ni ne comprend. Ces tentatives sont très coûteuses et handicapants, et certaines ont un fort potentiel addictif.

De nombreux professionnels de la santé méconnaissent la relation entre violences, psychotraumatismes et troubles du comportement alimentaire, ainsi que la réalité et l’ampleur des violences et de leurs conséquences psychotraumatiques, et cela est très préjudiciable pour les personnes qui souffrent de TCA. Cela représente pour elles une perte de chance, un risque de les exposer à des maltraitances dans le cadre des soins et d’aggraver leurs souffrances.

Le traitement uniquement symptomatique des troubles du comportement alimentaire est le plus souvent voué à l’échec, avec des régimes, des hospitalisations et des rechutes à répétition tant que l’origine psychotraumatique des troubles du comportement alimentaire, la souffrance liée à la mémoire traumatique ne sont pas identifiées, analysées, mises en sens et traitées.

Le traitement de la mémoire traumatique est essentiellement psychothérapique, il passe par son intégration en une mémoire explicite narrative : une mémoire autobiographique, consciente et contrôlable qui n’aura plus de pouvoir colonisateur et ne sera plus traumatisante.

Il nécessite un travail de psycho-éducation auprès du patient et de son entourage pour informer et expliquer les mécanismes psychotraumatiques et le fonctionnement de la mémoire traumatique, ainsi qu’un accompagnement éclairé, sécurisé, patient et bienveillant avec des professionnels formés à la prise en charge des psychtraumatismes. La prise en charge doit être pluridisciplinaire, holistique (psychothérapique, somatique, psycho-corporelle, sociale, juridique si besoin).

Au fur et à mesure que la mémoire traumatique est traitée, les stratégies de survie disparaissent, elles ne sont plus nécessaires. Une réparation neurologique (neurogénèse) peut alors se faire, ce qui permet aux victimes de récupérer leurs compétences cognitives et émotionnelles, et de retrouver ou de découvrir un sentiment de cohérence et d’unité, de retrouvailles avec elles-même : « Je suis passée de la survie à la vie. Mon corps n’est plus douloureux, je ne suis plus dans les Troubles Alimentaires. Je me sens libre. »


Les troubles du comportement alimentaire - quelle réalité.

Les troubles du comportement alimentaire ( TCA) : anorexie (AN), boulimie (BN) et hyperphagie boulimique (BED), sont bien plus fréquents chez les femmes que chez les hommes (3 fois plus, hormis pour l’hyperphagie boulimique). Leur prévalence dans la population générale est estimée à 5%. 1. L’anorexie se définit par des restrictions énergétiques menant à un poids inférieur au poids normal pour le sexe, l’âge et la taille, associées à une peur intense de prendre du poids ou de devenir gros, et à une altération de la perception du poids et du corps avec une influence sur l’estime de soi et un déni de la gravité de la maigreur actuelle. 2. La boulimie se définit par la survenue récurrente de crises avec une importante absorption de nourriture en un temps limité, et un sentiment de perte de contrôle, associés à des comportements compensatoires visant à prévenir la prise de poids (vomissements, laxatifs, jeûne, activité physique, etc.). Les crises et les comportements compensatoires doivent survenir au moins une fois par semaine sur une période de 3 mois. L’estime de soi est influencée par le poids et la silhouette. Le trouble peut apparaître sans épisode d’anorexie. 3- L’hyperphagie boulimique (en anglais B.E.D., Binge Eating Disorder) se définit par la survenue récurrente de crises de boulimie avec un sentiment de perte de contrôle. Les crises sont associées à au moins 3 des critères suivants : - la prise alimentaire extrêmement rapide et bien supérieure à la normale. - le fait de manger jusqu'à ressentir une distension abdominale inconfortable. - le fait de manger de grandes quantités de nourriture sans sensation de faim. - le fait de manger seul pour ne pas se sentir gêné de manger une telle quantité de nourriture. - le fait après les crises, de ressentir un dégoût de soi, une dépression ou une grande culpabilité.
Le comportement boulimique est source de souffrance marquée, il survient au moins un fois semaine sur une période de 3 mois. Il n’est pas associé à des comportements compensatoires inappropriés et il n’intervient pas exclusivement au cours de l’anorexie ou de la boulimie.
Ces troubles alimentaires démarrent le plus souvent à l’adolescence avec des passages fréquents d’une des 3 formes à l’autre. Ils ont un caractère compulsif et envahissant, ils sont fréquemment associés à de multiples régimes et à une altération sévère de l’estime de soi et de l’image corporelle. Ils s’installent dans la durée avec de lourdes conséquences sur la qualité de vie et sur la santé, et ils sont associés à une augmentation de la mortalité si une prise en charge adaptée n’est pas mise en place.
Ces troubles du comportement alimentaire sont l’indice d’une très importante souffrance mentale et d’une tentative pour y échapper ou la soulager en l’anesthésiant. Il s’agit de conduites de survie qui s’imposent comme seules solutions disponibles, leur efficacité n’étant que transitoire, ces conduites se répètent, avec des phénomènes de dépendance et de tolérance qui les aggravent. Cette souffrance mentale, rarement identifiée comme telle par l’entourage et par certains professionnels, est le plus souvent due à des troubles psychotraumatiques, et plus particulièrement à une mémoire traumatique incontrôlable, véritable torture faisant revivre à l’identique les pires moments de traumas subis antérieurement, avec les mêmes sentiments de détresse, de désespoir et de terreur, les mêmes douleurs, etc. Ces traumas sont majoritairement des violences subies dans l’enfance (violences physiques, sexuelles et psychologiques, négligences, exposition à des violences conjugales, à un homicide), mais également abandon, décès d’un parent ou d’un frère ou une soeur, incarcération d’un membre de la famille. Les traumatismes en cause peuvent être également des violences subies à l’âge adulte (violences sexuelles, violences conjugales, violences au travail, violences de guerre, tortures) ou être liés à d’autres situations traumatiques que des violences (catastrophes naturelles, incendie, accidents, décès brutal ou par suicide d’un proche, survenue d’une maladie grave ou d’un handicap, situations de migration ou de très grande précarité, etc).

Les études scientifiques internationales ont montré : - que les troubles psychotraumatiques (ESPT) sont fréquemment associés à des troubles compulsifs alimentaires ( TCA) : anorexie, boulimie et hyperphagie boulimique (Vierling, 2015) ; - que les troubles psychotraumatiques (ESPT) augmentaient le risque d’obésité, particulièrement chez les femmes et les enfants ayant subi des violences (Kubzansky  LD, 2014, Masodkar, 2016) ; - que les expériences négatives de l’enfance (ACE Adverse Childhood Experience), sont un facteur de risque majeur de présenter une obésité et des troubles compulsifs alimentaires à l’âge adulte, elles sont retrouvées dans 70% des cas d’obésité (études épidémiolgiques de Feltti et Anda, 1998) ; - que toutes les violences subies dans l’enfance (violences physiques, sexuelles et psychologiques) sont fortement associées à des troubles compulsifs alimentaires tout au long de la vie avec des Odds Ratios supérieurs à 3, les violences sexuelles étant plus spécifiquement associées à la boulimie et à l’hyperphagie boulimique (Caslini, 2016) ; - que plus de 30% des victimes de violences sexuelles présentent des troubles du comportement alimentaires (IVSEA, 2015).

Les troubles du comportement alimentaire font donc partie des conséquences psychotraumatiques des violences, plus particulièrement des violences subies dans l’enfance et des violences sexuelles.
La plus forte prévalence des troubles compulsifs alimentaires chez les femmes s’explique par le fait qu’elles sont plus touchées par les violences qui sont les plus traumatisantes, comme les violences sexuelles.
Les troubles compulsifs alimentaires sont soit l’expression d’un allumage de mémoire traumatique, ou soit de stratégies de survie (conduits d’évitement, de contrôle ou conduites dissociantes anesthésiantes) pour échapper à cette mémoire traumatique.
Devant tout trouble alimentaire chez un enfant, un adolescent ou un adulte, il est donc essentiel de rechercher si des violences ont été subies ou sont subies, les professionnels de la santé devraient poser systématiquement la question à tous leurs patients puisque : - la majorité des personnes présentant des troubles du comportement alimentaire ont subi des violences (jusqu’à plus de 70%) particulièrement dans l’enfance, et le plus souvent des violences sexuelles ; - les troubles compulsifs alimentaires sont liés à l’impact psychotraumatique des violences, et sont soit l’expression d’un allumage de mémoire traumatique, ou soit de stratégies de survie (conduites d’évitement, de contrôle ou conduites dissociantes anesthésiantes) pour échapper à cette mémoire traumatique. - les violences que subissent les femmes et les enfants sont fréquentes et se rencontrent à tous les âges et dans tous les milieux, le plus souvent elles ne sont pas connues ni dénoncées car elles font l’objet d’un déni et d’une loi du silence, et les traumatismes que présentent les victimes les empêchent de les révéler ; - la prise en charge des psychotraumatismes est nécessaire pour faire régresser les troubles compulsifs alimentaires et éviter d’autres violences ; - la reconnaissance des violences subies et de leur impact psychotraumatique dans la génèse des troubles compulsifs alimentaires est déculpabilisante et libératrice pour les victimes, elle leur rend justice, leur permet de mieux se comprendre et de faire des liens qui vont les aider à contrôler leurs troubles, elle est thérapeutique en soi ; inversement la méconnaissance fréquente par les professionnels de ce lien entre violences et TAC, ainsi que la méconnaissance des troubles psychotraumatiques, représente une perte de chance pour les personnes souffrant de TAC et un risque de subir des maltraitances institutionnelles.


Les violences, quelles réalités ?

Dans le monde, un enfant sur quatre a subi des violences physiques, une fille sur cinq et un garçon sur treize des violences sexuelles, un enfant sur trois des violences psychologiques Enquête Hillis citée par l’OMS 2016.
En France, nous avons très peu de chiffres et pas encore d’enquête de victimation directe auprès des enfants. Cependant, à partir de d’enquêtes faites auprès d’adultes qui rapportent les violences subies dans leur enfance, on peut estimer que chaque année plus de 150 000 enfants subissent des maltraitances physiques, 124 000 filles et 30 000 garçons subissent des viols ou des tentatives de viols (CSF 2008, CVS-ONDRP 2012-2015), 140 000 enfants sont exposés à des violences conjugales (CVS-ONDRP 2012-2015), et plus de 300 enfants sont tués (Turz, 2010).
Dans le monde, une femme sur trois a subi des des violences physiques et sexuelles (OMS, 2013).
En France, 10% des femmes déclarent dans l’enquête ENVEFF (2000) avoir subi des violences conjugales dans l’année qui précède, ce chiffre passant à 25% pour les femmes les plus jeunes, 223 000 femmes en 2014, 14% qui portent plainte Plus d’1 femme sur 5 (20,4%), déclare dans l’enquête CSF (2008) avoir subi au moins une fois dans sa vie une forme de violence sexuelle (attouchements forcés, tentative de rapports forcés, ou rapports forcés). Parmi elles, 6,8% déclarent au moins un rapport sexuel forcé au cours de leur vie (tandis que les hommes sont 6,8 % à déclarer au moins une forme de violence sexuelle au cours de leur vie et 1,6% au moins un viol). Les femmes et les filles sont chaque année 203 000 à subir un viol ou une tentatives de viol (84 000 pour les femmes adultes, plus de 120 000 pour les mineures) 10% qui portent plainte.

Les sphères orales et alimentaires ainsi que le corps et son apparence physique sont le terrain privilégié de nombreuses violences subies ayant souvent débuté très jeunes, le plus souvent commises par le milieu familial, le conjoint et par l’entourage proche : - violences sexuelles : viol par pénétration orale, agression sexuelle par baiser forcé, intrusion de la langue, ou par des contraintes à embrasser ou lécher des parties sexuelles, harcèlement sexuel avec mises en scène, blagues et propos déplacés à connotation sexuelle par rapport à la bouche, à la façon de manger, à ce qui est mangé , à des parties du corps et à la corpulence. Lors de violences sexuelles, les agresseurs utilisent fréquemment des références à l’alimentation : «suce», «avale», «goûte ça», «c’est comme une glace, une sucette», «c’est bon, tu aimes ça», «petite gourmande». - violences physiques : forçages ou privations alimentaires, contraintes à ingérer des choses répugnantes, violences éducatives concernant l’alimentation avec des punitions concernant l’alimentation, violences intra-familiales ou conjugales lors des repas. - violences psychologiques : climat de menaces et de chantages pendant les repas, injures, remarques, moqueries, critiques incessantes et humiliations par rapport aux conduites alimentaires, à la façon de manger, à l’aspect physique et à la corpulence. - et également des négligences alimentaires.

Toutes ses violences peuvent entraîner une mémoire traumatique à long terme et une dissociation traumatique tant que les violences perdurent ou que la victime reste en contact le ou les agresseurs.


Les conséquences psychotraumatiques liées aux violences

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Les TCA comme stratégie de survie.

Les allumages de mémoires traumatiques qui sont déclenchés par des liens qui rappellent les violences peuvent se présenter dans les TCA sous forme d’anorexie ou de boulimie :
- sous la forme d’anorexie, il s’agit d’une reviviscence d’une situation de violence avec une restriction alimentaire punitive ou par négligence, cela peut être également la reviviscence d’un état de choc traumatique avec état de confusion accompagné d’anorexie, ou la reviviscence d’un état de dégoût et de nausées lors de violences sexuelles. Ces reviviscences brutales font revivre à l’identique la situation de violence vécue par le passé, elles peuvent durer plusieurs jours ou semaines, elles sont déclenchées par évènement qui rappelle les violences qu’il s’agit de retrouver et d’identifier, il peut s’agir d’une date, d’une période dans l’année, d’une nouvelle situation de violence, etc. - sous la forme de boulimie compulsive suivie de vomissements, il s’agit d’une reviviscence d’une situation de violence avec forçage alimentaire, revécue comme contrainte qui se remet en scène, jusqu’à étouffement et vomissement, ou bien de pénétration buccale lors de violences sexuelles, revécue également comme contrainte jusqu’à étouffement et vomissement. Ce sont des situation particulière qui déclenchent l’épisode, telles des actes sexuels, de nouvelles violences aussi, etc.

Les conduites d’évitement et de contrôle peuvent se présenter sous plusieurs formes dans les TCA sous forme d’anorexie : - avec une restriction alimentaire pour éviter le rappel de situation de forçage alimentaire, de violences ayant eu lieu lors de repas, ou de violences sexuelles orales (éviter de manger, d’avaler). - avec une restriction alimentaire pour éviter de prendre du poids par rapport à des violences psychologiques et verbales concernant l’aspect physique «tu n’es qu’une grosse vache». - avec une restriction alimentaire pour éviter de prendre du poids par rapport à un corps qui ne doit pas rappeler celui qui a subi les violences sexuelles quand celles-ci ont eu lieu avant 4-5 ans quand les enfants ont encore des rondeurs, ou par rapport au corps de l’agresseur s’il était corpulent ; ou pour éviter que son corps devienne féminin et «désirable». - avec des phobies alimentaires de tous les aliments qui peuvent rappeler les violences sexuelles (consistance, aspect, couleur, grosseur, odeur qui font lien avec le sexe de l’agresseur ou sa langue, avec le sperme…) comme nous l’avons vu précédemment.

Les conduites d’évitement et de contrôle peuvent se présenter sous plusieurs formes dans les TCA, sous forme d’hyperphagie : - pour éviter de ressentir la moindre notion de faim s’il y a eu des privations de nourriture. - pour prendre du poids pour avoir un corps qui ne rappelle pas celui qui a subi les violences sexuelles quand celles-ci ont eu lieu après 6 ans quand les enfants sont beaucoup plus minces. - pour prendre du poids pour avoir un corps qui ne soit pas «désirable» et pour se sentir imposante, impossible à attraper, à soulever ou à immobiliser.

Les conduites dissociantes anesthésiantes peuvent se présenter dans les TCA, sous forme d’anorexie - avec une recherche de situation de mise en danger et de stress physique extrême avec une restriction alimentaire très importante qui crée une disjonction permanente avec une anesthésie émotionnelle qui permet d’être soulagé et de ne plus ressentir son corps (dissociation) ce qui engendre une indifférence à son état ; - l’état de jeune peut avoir pour fonction également de rejouer une scène proche des violences pour déclencher un état de stress qui va faire disjoncter ; il peut y avoir une recherche de production d’un stress important en faisant peur à l’entourage ce qui permet également de se dissocier.
Les conduites dissociantes anesthésiantes peuvent se présenter dans les TCA sous forme de boulimie : - avec une recherche de situation de stress physiologique avec une augmentation brutale de la glycémie qui va déclencher une disjonction avec une anesthésie émotionnelle qui permet d’être soulagé momentanément. - la boulimie peut avoir pour fonction également de rejouer une scène proche des violences pour déclencher un état de stress qui va faire disjoncter, en créant une sensation de dégoût et de nausées.
Ces listes sont loin d’être exhaustives, ce qui est essentiel c’est de rechercher à chaque crise, à chaque épisode, pour chaque situation phobique et de contrôle, quel est l’élément déclencheur, que s’est-il passé juste avant, quels ont été les ressentis avant, pendant et après. Il s’agit d’identifier ce qui a déclenché la mémoire traumatique ou menacé de la déclencher, de rechercher à quelle situation de violences c’est relié, et d’analyser et comprendre quels mécanismes et quelles stratégies de survie se sont mises en place, et pourquoi celles-ci justement.
Il faut traquer tous les incohérences dans les ressentis et les comportements pour en trouver l’explication, d’où elles viennent, de quelle scène du passé, à qui elles appartiennent : à la victime, à l’agresseur, à d’autres victimes ou témoins présents lors des violences. Souvent ce qui est le plus incohérent, incompréhensible, ce qui paraît le plus fou, provient de la mémoire traumatique de l’agresseur, de ses mises en scène, de ses mensonges, de ses mystifications : «tu aimes ça que je te fasse mal, que je te mette en grand danger, que je te dégrade, que je t’humilie, que j’utilise ton corps comme un objet…». Il est très important par rapport au magma indifférencié de la mémoire traumatique, de trier ce qui appartient à la victime et de ce qui appartient à l’agresseur. Par exemple la peur, la détresse, le dégoût appartiennent à la victime ; l’excitation, la haine, le mépris, le désir de détruire appartiennent à l’agresseur ; mais ils peuvent être mélangés et être considérés comme des ressentis émanant tous de la victime, comme si c’était elle qui était excitée sexuellement, qui se haïssait, se méprisait, s’attaquait ou voulait se détruire. Il en est de même, pour tout ce que la victime entend dans sa tête et qu’elle peut prendre pour ses propres pensées, alors qu’il s’agit de la mémoire traumatique de ce que disait l’agresseur : « tu es moche, grosse, sale, etc. », « tout est de ta faute » , « tu l’as voulu », « tu aimes ça », « ça t’excite", ou de ce qu’il imposait à la victime de dire ou de faire.

Ensuite, le travail psychothérapique, en identifiant, en comprenant puis en reliant chaque manifestation de la mémoire traumatique aux violences dont elle est la réminiscence, permet de la re-contexualiser et de réintroduire des représentations mentales qui permettent de rétablir un contrôle émotionnel efficace sur la mémoire traumatique et de la désamorcer. Ce travail de déminage permet de créer suffisamment de sécurité pour qu’il soit possible de « revisiter » pas à pas le vécu des violences, de toutes les violences, dont très souvent les premières remontent à l’enfance.

Il s'agit de « réparer » l'effraction psychique initiale, la sidération psychique liée à l'irreprésentabilité des violences (Van der Kolk, 1991 ; Foa, 2006) pour que le vécu puisse devenir intégrable, car mieux représentable, mieux compréhensible, en mettant des mots sur chaque situation, sur chaque comportement, chaque réaction, chaque émotion, en analysant avec justesse le contexte ainsi que le comportement et la stratégie de l'agresseur. Cette analyse poussée permet au cerveau associatif et à l'hippocampe de reprendre le contrôle des réactions de l'amygdale cérébrale, de rétablir des connexions neurologiques et d'encoder la mémoire traumatique émotionnelle pour la transformer en mémoire autobiographique consciente et contrôlable (Nijenhuis, 2004). Parallèlement à l'efficacité clinique du traitement, la neuro-imagerie montre une augmentation du volume de l'hippocampe avec une neurogenèse et une restauration dendritique : les atteintes neuronales ne sont donc pas définitives (Ehling, 2003).

Le but de la psychothérapie est donc de ne jamais renoncer à tout comprendre, ni à redonner du sens. Tout symptôme, tout cauchemar, tout comportement qui n’est pas reconnu comme cohérent avec ce que l’on est fondamentalement, toute pensée, réaction, sensation incongrue doit être disséquée pour la relier à son origine, pour l’éclairer par des liens qui permettent de la mettre en perspective avec les violences subies, et pouvoir ainsi la désamorcer (Foa, 2006, Salmona, 2012). Il s’agit, pour le patient, de devenir expert en gestion et en « déminage », et de poursuivre le travail seul, pour que la mémoire traumatique se décharge de plus en plus et que les conduites dissociantes ne soient plus nécessaires. La sensation de danger permanent s’apaise alors, et petit à petit il lui devient possible de sortir de la dissociation, de se décoloniser de la mémoire traumatique, de retrouver sa cohérence, de se réconcilier avec soi-même et d’arrêter de survivre pour vivre enfin en étant enfin lui-même.
De plus ce travail de compréhension permet à la victime d’éviter d’être traumatisée par de nouvelles violences. Une fois que les violences prennent sens par rapport au passé traumatisant de l’agresseur, que les victimes se rendent compte que les violences ne les concernent absolument pas, qu’elles se jouent sur une autre scène, celle de la mémoire traumatique de l’agresseur et de son passé, le scénario mis en scène par l’agresseur ne fonctionne plus, il devient possible aux victimes de ne plus être piégées et de ne plus y participer. À partir du moment où les victimes comprennent ce qui se passe, elles peuvent identifier la scène et le rôle dans lequel l’agresseur tente de les piéger et s’en libérer, elles ne sont plus la proie pétrifiée dont l’agresseur a besoin pour sa mise en scène. Le « jeu » ne fonctionne plus, la victime peut se mettre « hors-jeu » et laisser l’agresseur face à une scène où il ne peut plus jouer le rôle de bourreau, faute de victime pétrifiée. Son histoire, qu’il imposait à la victime, lui est renvoyée en pleine figure, en miroir. Il est alors ramené à son propre rôle originel, un rôle de victime qu’il ne veut surtout pas jouer. Le « jeu » n’a donc plus de sens, plus d’intérêt et il n’est plus dissociant, l’agresseur devra se dissocier autrement ou se calmer. Face à lui, la victime est devenue comme Persée face à Méduse, sa compréhension est le bouclier miroir offert par Athéna (déesse de la sagesse et de la raison) à Persée, elle lui évite d’être pétrifiée par le regard de Méduse.
Ce travail d’explication, d’identification, de mises en lien, d’analyse, de tri et de différenciation est indispensable pour que ce qu’a vécu et ressenti la victime prenne enfin sens et devienne cohérent, et puisse être enfin intégré en mémoire auto-biographique.

Au total, les mécanismes psychotraumatiques neuro-biologiques de disjonction et leurs conséquences sont essentiels à comprendre, ils permettent aux professionnels de prendre en compte les processus d’emprise que subissent les victimes et de comprendre les symptômes et les comportements des victimes, et de mieux les protéger, les prendre en charge et les soigner.
Pour les victimes il est déjà très libérateur d’apprendre que leurs symptômes, leur souffrance, leur mal-être, leurs troubles du comportements, sont des conséquences des violences, sont cohérents et normaux à la lumières des processus psychotraumatiques (MacFarlane, 2010), qu’elles ne sont pas folles, ni débiles, ni incapables, etc. Les femmes victimes nous rapportent à quel point cela change tout pour elles. Soudain elles ont des clés qui leur permettent de comprendre ce qu’elles ressentent, d’expliquer des comportements qui sont en fait des stratégies de survie, et de pouvoir en sortir, de ne plus être piégées par certaines réminiscences de leur mémoire traumatique qui leur imposent une pseudo-réalité, et de pouvoir faire le tri entre ce qu’elles sont et ce qui les colonise.
Cette compréhension leur permet de renouer avec leur estime de soi, leur sentiment de dignité, d’unité, de cohérence et de sécurité intérieure, d’être moins vulnérables et de ne plus se sentir coupables. Elle leur permet également de démonter le système agresseur, d’identifier l'incohérence et la stratégie intentionnelle à l’œuvre chez l’agresseur, ce qui leur permet de déjouer son pouvoir sidérant.et dissociant, et de pouvoir mieux se défendre, de dénoncer les violences, de ne plus être manipulées, et de ne plus être sous emprise (Salmona, 2015).
L’information sur les troubles psychotraumatique et leurs mécanismes, ainsi que la formation des professionnels, sont absolument indispensables pour améliorer la prise en charge des troubles du comportement alimentaire et espérer de meilleurs résultats.


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