Conduites à risque

Page élaborée à partir des travaux du Dr Muriel Salmona sur les mécanismes psychologiques et neurobiologiques psychotraumatiques. Tous droits réservés, demander l'autorisation de l'auteur drmsalmona@gmail.com avant toute reproduction sur internet ou sur les supports traditionnels.

Généralités

Les conduites à risques dissociantes font partie des conséquences psychotraumatiques des violences.
Elles se mettent en place quand les victimes traumatisées sont abandonnées sans reconnaissance, sans protection et sans prise en charge et soin spécialisés.
Elles sont une tentative d'auto-traitement de la souffrance liée à la mémoire traumatique des violences quand l'allumage de celle-ci n'a pas pu être évitée par des conduites de contrôle et d'évitement en créant un état de dissociation qui permet de se couper de ses émotions. Cet état de dissociation peut-être à l'origine d'une banalisation, d'un déni ou d'une amnésie psychogène des violences subies.
Elles sont un moyen d'échapper au mal-être et à l'angoisse terrible qui envahit la victime quand un lien se fait avec les violences par associations d'idée, par le rappel des événements lors d'un contexte similaire (date, lieu, événements, situations, etc.), lors de sensations (visuelles : ressemblance avec l'agresseur, regard, couleur…, auditives : cris, bruits…, olfactives : odeurs, sensorielles : sensations cutanées, douleurs…, émotionnelles : stress, peur, angoisse…), lors de cauchemars, etc. et que ce lien déclenche la mémoire traumatique et fait revivre à l'identique tout ou partie de l'événement violent avec la même sensation de détresse, d'effroi, de désespoir, d'impression de mort imminente. Ou bien quand la victime va être à nouveau exposée à des violences, à un agresseur ou à une situation dont elle sait qu'elle va déclencher sa mémoire traumatique mais qu'elle ne peut pas éviter.
Quand la mémoire traumatique se déclenche ou va se déclencher la victime se retrouve dans le même état de sidération psychique que lors des violences, elle est dans l'incapacité de se calmer, de se raisonner en reliant son état au passé des violences, l'état de stress et la détresse deviennent insupportables si une disjonction spontanée de son circuit émotionnel ne se fait pas comme lors de l'événement traumatisant (car des phénomènes d'accoutumance et de tolérance aux drogues dures sécrétées par le cerveau - morphine-like et kétamine-like - se sont installés). Il faut alors à tout prix, de façon compulsive, provoquer une disjonction et/ou un état dissociatif pour échapper à cette souffrance liée à sa mémoire traumatique ou pour supporter une situation violente qui se répète et dure dans le temps.
La victime traumatisée fait rapidement l'expérience que certaines conduites calment immédiatement la souffrance en coupant toute émotion : se taper la tête contre les murs, se faire mal, se mettre en danger, s'alcooliser, se droguer, crier, être violent, manger n'importe quoi sans s'arrêter, avoir certaines pensées comme des idées suicidaires, des idées d'auto-mutilation, des scénarios fantasmés de violences extrêmes… Ces conduites permettent à la victime de se détacher et d'atteindre un état d'indifférence affective, ou tout au moins d'être pour un temps ailleurs dans un autre monde. Il y a deux façon de créer un état dissociatif avec anesthésie émotionnelle pour échapper à la mémoire traumatique :

  • par des conduites à risque, des mises en danger, des pensées ou des scénarios effrayants en générant un surcroît de stress qui vont provoquer une disjonction en faisant produire par le cerveau encore plus de drogues dissociantes, ce sont des conduites addictives au stress.
  • en créant directement un état dissociatif par l'intermédiaire d'une consommation de drogues dissociantes (tabac, alcool, drogues), ou par l'intermédiaire de techniques dissociantes (balancements, mouvements saccadés, auto-hypnose, musiques très fortes).

Les conduites dissociantes permettent donc d'obtenir une anesthésie émotionnelle et physique grâce à une disjonction provoquée du circuit émotionnel par un stress extrême. Cette anesthésie émotionnelle et physique brutale (avec un effet de shoot) est efficace sur l'état de tension insupportable générée par la mémoire traumatique des violences, mais de façon transitoire et au prix :

  • d'une recharge de la mémoire traumatique à chaque disjonction provoquée avec aggravation des troubles psychotraumatiques.
  • de troubles de la mémoire (amnésies) et de troubles cognitifs importants (troubles de l'attention de la concentration).
  • d'un état de dissociation avec un sentiment de dépersonnalisation, d'être étranger à soi-même, de ne pas se comprendre.
  • d'une atteinte de son intégrité psychique et physique, de son image et de l'estime de soi avec de forts sentiments de honte et de culpabilité et une souffrance morale très intense.
  • d'une anesthésie physique corporelle avec sensation de corps mort, de décorporalisation à risque important de négligence, d'absence de soins indispensables, d'absence de prévention.
  • d'un risque vital très important, risque d'accidents mortels, de suicide, d'overdoses, de mort violente criminelle.
  • d'un risque pour sa santé physique et mentale lié aux conduites à risque : accidents, risque de MST, de grossesses précoces, de maladies liés aux prises d'alcool et de drogues, risque de maladies liées au stress, troubles psychiatriques graves, risque d'arrêts de maladie et de longue maladie, de passage en invalidité.
  • d'un risque important d'addiction aliénante à divers produits(tabac, alcool, drogues, médicaments), à des conduites compulsives (boulimie/anorexie, auto-mutilation, auto-sévices, jeux, achats, sexualité à risque, comportements sexualisés compulsifs, pornographie, scénarios, vols, violences envers autrui), à des pensées effrayantes (phobies d'impulsions, peur de faire mal, d'agresser, peur de se faire mal, peur de maladies graves, etc.).
  • d'un risque important d'isolement social, d'échecs scolaires, professionnels, affectifs, de marginalisation, de délinquance et un risque nonnégligeable de se retrouver dans un système prostitutionnel.
  • d'un risque de stigmatisation et de rejet par incompréhension de l'entourage. d'un risque important d'être à nouveau victime, en raison des conduites à risque, mais aussi parce que les prédateurs repèrent les conduites d'évitement, d'hypervigilance et les symptômes dissociatifs des victimes. De plus l'anesthésie émotionnelle est un facteur de risque, les émotions n'étant pas là pour soutenir le repérage intellectuel de situations anormales.
  • d'un risque de banalisation et de minimisation des violences, de dépendance à l'agresseur.
  • d'un risque de délinquance et de conduites violentes envers autrui avec une atteinte de l'intégrité psychique et physique d'une personne qui est utilisée comme fusible si les conduites dissociantes s'exercent sur elle.

Ces conduites dissociantes ont un fort potentiel addictif : en effet, elles sont efficaces par l'intermédiaire de l'augmentation de production de drogues dissociantes endogènes produites par le cerveau (morphine-like et kétamine-like) ou par l'adjonction de drogues exogènes (alcool, héroïne, cocaïne, crack, ectasy, cannabis, etc.), ces drogues étant à l'origine de phénomènes d'accoutumance, de tolérance et de dépendance.
Elles auront donc tendance à se reproduire et à s'aggraver. Elles seront d'autant plus "efficaces" pour générer une anesthésie émotionnelle qu'elles reproduiront au plus près contre soi-même ou contre autrui le scénario des violences subies à l'origine du psychotraumatisme.


Description

Les conduites dissociantes sont des conduites dangereuses pour la sécurité, l'intégrité psychique et la santé de la victime. Elles sont délibérées, répétées, le plus souvent associées entre elles, compulsives et paraissent paradoxales :

  • conduites dangereuses : prise de risque sur la voie publique (vitesse excessive en voiture ou en deux-roues, rodéos, conduite en état d'ivresse, traverser une route sans regarder, marcher près d'un précipice, etc.), dans les activités sportives (sport extrême, sans protection, jusqu'à épuisement, dans un contexte dangereux), à la maison, au travail (avec des machines dangereuses).
  • prise de substances psycho-actives : tabac, alcool, drogues.
  • conduites auto-agressives : tentatives de suicides, auto-mutilations, scarifications, brûlures, morsures, griffures, blessures, strangulation, auto-piercing et auto-tatouage, arrachage de cheveux.
  • conduites sexuelles dangereuses : mise en danger de soi-même, conduites sexuelles inappropriées ou auto-agressives exhibées ou cachées, sexualité violente, rapports sexuels non protégés, multiplication des partenaires, rapports avec des inconnus, grossesses précoces, prostitution, pornographie.
  • conduites alimentaires anormales : anorexie, boulimie.
  • jeux dangereux : jeu du foulard, mises à l'épreuve, bizutages, combats, bagarres.
  • mise en scène de scénarios reproduisant les violences subies.
  • conduites addictives aux jeux d'argent, aux achats compulsifs.
  • fugues, vagabondage, absentéisme scolaire, fréquentations dangereuses, adhésion à des mouvements prônant la violence, satanisme, sectes.
  • actes de délinquance : transgressions, vols, actes de dégradation.
  • conduites violentes sur autrui : violences psychologiques, verbales, physiques, sexuelles.
  • il peut s'agir aussi de pensées effrayantes et obsédantes, de scénarios fantasmés (comme des scénarios d'auto-mutilation, d'auto-sévices, d'agressions, de tortures, de viol), de phobies d'impulsions (peur de faire mal, d'agresser), de nosophobie (peur d'avoir des maladies graves), etc. ou de conduites dissociantes plus "douces" : balancements, auto-hypnose, musique très forte, pensées répétitives en boucle.

Mécanisme

Les conduites à risques sont des mises en danger délibérées qui auraient normalement pu être prévenues ou évitées, comportant une recherche active voire compulsive de situations, de comportements ou de produits connus comme pouvant être dangereux à court ou à moyen terme.
Le danger est recherché pour son pouvoir dissociant, pour sa capacité, par le stress extrême qu'il entraîne, à mettre en place un mécanisme de sauvegarde neuro-biologique exceptionnel qui va déconnecter les réponses émotionnelles et donc créer une anesthésie émotionnelle et un état dissociatif.

Le but de ces conduites qui paraissent souvent paradoxales est d'échapper à une souffrance psychique intolérable, incompréhensible et incontrôlable, qui est liée à une mémoire traumatique produite le plus souvent par des violences subies : maltraitances, violences sexuelles remontant à la petite enfance ou plus récentes.

Il s'agit donc de conduites d'auto-traitement anesthésiantes, de stratégies d'ajustement face à des angoisses terrifiantes qui sont des angoisses « fantômes » identiques à celles vécues lors des violences initiales (mémoire traumatique), qui se réveillent à l'occasion de situations ou de liens rappelant les violences.
Elles commencent surtout à l'adolescence, parce que les stratégies précédentes (univers réduit de l'enfance, dissociation chronique quand l'enfant vit avec son agresseur, conduites d'évitements) sont mises en échec par l'obligation qui est faite à l'adolescent de rentrer dans des processus d'acquisition, d'indépendance et d'individualisation, d'agrandissement de son terrain d'action, de confrontation à son corps qui se transforme et se sexualise, processus qui le mettent en danger face à sa mémoire traumatique (terrain miné). Elles se poursuivent après à l'âge adulte si elles n'ont pas été prises en charge, de façon souvent moins bruyante mais toujours aussi catastrophique pour la santé et la qualité de la vie, avec un taux élevé de violences à nouveau subies (sexuelles, conjugales, au travail) et agies (maltraitance sur les enfants, violences conjugales...).
Elles font partie de symptômes psychotraumatiques qui s'installent après des violences graves :

  • elles sont directement liées à la mémoire traumatique générée au moment des violences par la mise en place de mécanismes de sauvegarde neuro-biologiques.
  • ces mécanismes s'apparentent à une déconnexion (comme dans un circuit électrique qui disjoncte lors d'un survoltage), laquelle permet d'éteindre la réponse émotionnelle pour échapper au risque vital induit par l'intensité de la réaction au stress.
  • cette déconnexion se fait par l'intermédiaire de drogues dures endogènes sécrétées par le cerveau (endorphines, drogues kétamine-like), et elle entraîne un état d'anesthésie émotionnelle, mais aussi une mémoire traumatique par isolement et non-intégration de la mémoire émotionnelle des violences, et également une dissociation (dépersonnalisation, sentiment d'irréalité, d'étrangeté, d'être spectateur de l'événement).

Les mécanismes qui expliquent la mise en place de ces conduites à risque :

  • cette mémoire traumatique hypersensible qui reste devient une véritable bombe à retardement qui va exploser lors de toute situation ou de tout lien rappelant les violences.
  • cette explosion envahit la conscience et fait revivre à la victime tout ou partie du traumatisme avec les mêmes angoisses, les mêmes douleurs, les mêmes sensations, la même panique, les mêmes symptômes dissociatifs, de façon le plus souvent totalement incompréhensible et très inquiétante si aucun lien n'est fait entre violences subies et ces crises.
  • la vie devient alors un terrain miné, et pour survivre les victimes mettent en place des conduites d'évitement avec une hypervigilance et un contrôle des émotions et de l'environnement pour éviter l'allumage de la mémoire traumatique.
  • mais ces conduites d'évitement deviennent inefficaces lors de situations imprévues, de changements importants (ce qui est le cas lors du processus de l'adolescence : changements corporels, de mode de vie, sexualisation).
  • la mémoire traumatique se met à exploser fréquemment, extrêmement difficile à calmer, très déstabilisante et déstructurante quand elle n'est pas identifiée comme telle, la vie devient un enfer auquel il parait impossible d'échapper (idées suicidaires +++).

Rapidement la personne fait, seule ou en groupe, l'expérience de conduites ayant un pouvoir dissociant et anesthésiant qui sont des conduites à risques. Ce sont des conduites d'auto-traitement de la mémoire traumatique qui, par le stress émotionnel important supplémentaire qu'elles génèrent (par la mise en danger), reproduisent un survoltage et redéclenchent la disjonction du circuit émotionnel. Cette disjonction provoquée entraîne, comme lors des violences, une dissociation avec anesthésie physique et psychique, et va calmer momentanément les angoisses.

La dissociation s'obtient alors soit en produisant du stress extrême, en se mettant directement en danger, en créant des situations violentes, en utilisant des drogues stress-like (amphétamines), soit en produisant directement la dissociation avec des drogues disjonction-like (alcool, cannabis, héroïne...). Ces conduites qui paraissent paradoxales surtout quand elles reproduisent au plus près les violences subies sont donc des stratégies efficaces pour échapper à une souffrance intolérable mais au prix :

  • d'une aggravation de la mémoire traumatique (qui se recharge à chaque dissociation, et qui va générer de nouvelles angoisses) avec accoutumance aux drogues endogènes ou exogènes, qui va conduite à des conduites à risques de plus en plus dangereuses et de plus en plus compulsives et addictives (phénomène de tolérance et de dépendance).
  • de symptômes dissociatifs (sentiment d'étrangeté, de coupure) lui donnant l'impression de n'être pas comme les autres, d'être fou.
  • de conséquences catastrophiques sur la vie (risque vital lié aux conduites à risque, risque sur leur santé, sur leur avenir, risque de marginalisation, de spirale délinquante) avec au total une sensation de solitude effroyable et une image très négative de soi.

Pour permettre aux victimes d'échapper à ces conduites dissociantes il est indispensable de reconnaître les violences subies, de diagnostiquer les troubles psychotraumatiques et de faire des liens entre les symptômes présentés et les violences subies. Il est indispensable aussi de donner des outils de compréhension et d'information pour que les victimes traumatisées puissent comprendre les mécanismes psychotraumatiques. Il est indispensable de porter assistance, de sécuriser, protéger, prendre en charge et offrir des soins spécialisés. La prise en charge, essentiellement psychothérapique consiste à traiter la mémoire traumatique, à la désamorcer puis à la déminer.

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