2019 - Enquête IPSOS - représentations des Français sur le viol vague 2

Les viols sont des crimes et des atteintes très graves aux personnes, mais sont l’objet d’une tolérance, d’une loi du silence et d’un déni scandaleux, et les violeurs bénéficient d’une impunité quasi systématique. Cette nouvelle campagne Stop au déni 2019, présente les résultats d'un second sondage Ipsos, trois ans et demi après le précédent, et un an et demi après #MeToo toujours centré sur l’étude des représentations des Français-e-s quant au viol et aux violences sexuelles, afin de mesurer l'évolution de l'adhésion aux idées reçues et mythes sur le viol.

Stéréotypes sexistes tenaces, mise en cause des victimes, déresponsabilisation des agresseurs, méconnaissance de la réalité des violences sexuelles, de leur prévalence et de la législation en vigueur, mais aussi reconnaissance des lourdes conséquences sur la santé des victimes : cette enquête établit à nouveau une photographie précise des représentations que peuvent avoir les Français du viol et des violences sexuelles.
Réalisée par l’institut IPSOS pour l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, l'étude a été présentée le 20 juin 2019, par l'association Mémoire Traumatique et Victimologie, lors d'une conférence de presse qui s'est tenue à la Mairie du 2ème arrondissement.

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L'ENQUÊTE “LES FRANÇAIS-E-S ET LES REPRÉSENTATIONS SUR LE VIOL ET LES VIOLENCES SEXUELLES”
L’enquête a été réalisée par l’institut IPSOS pour l’association Mémoire Traumatique et Victimologie du 22 au 28 février 2019, auprès de 1 000 individus représentatifs de la population française âgée de 18 ans et plus. La représentativité de l’échantillon a été assurée grâce à la méthode des quotas appliquée aux variables de sexe, d’âge, de profession de la personne interrogée, de région et de catégorie d’agglomération.

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Pourquoi à nouveau une telle enquête en 2019 ?

Après avoir constaté lors de notre première enquête le déni face aux violences sexuelles, la méconnaissance des statistiques des viols, et l’adhésion à des stéréotypes sexistes, à de fausses représentations et à des mythes sur le viol et les violences sexuelles, il nous a semblé utile de chercher à savoir si la médiatisation accrue de ces violences, la prise de parole de plus en plus fréquente des victimes et les nouvelles mesures législatives avaient modifié ces représentation stéréotypées, via notamment la campagne #MeToo depuis octobre 2017 et via le plan de lutte gouvernemental contre les violences sexistes et sexuelles #NeRienLaisserPasser présenté le 25 novembre 2017 par le Président de la République M. Emmanuel Macron et la secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes, Mme Marlène Schiappa.
Les résultats de notre première enquête rendus publics le 2 mars 2016 avaient choqué les médias et l’opinion publique, il paraissait incroyable, qu’en 2016 les Français-e-s soient :
- 40% à penser qu’une attitude provocante de la victime en public, atténue la responsabilité du violeur, et que si elle se défend vraiment elle peut le faire fuir ;
- 30%, qu’une tenue sexy excuse en partie le violeur ;
- plus de 30%, qu’il est habituel que les victimes accusent à tort pour se venger ;
- plus des 2/3 à adhérer au mythe d’une sexualité masculine pulsionnelle et difficile à contrôler, et d’une sexualité féminine passive ;
- et plus de 20% à considérer que des femmes aiment être forcées et ne savent pas ce qu’elles veulent, etc.
De nombreux-euses Français-e-s avaient donc encore tendance à considérer que dans certaines circonstances il existe des raisons de déresponsabiliser ou d’excuser les violeurs et a contrario de blâmer ou d’incriminer les victimes. De plus il ressortait de l’enquête que les femmes étaient loin d’être les mieux informées sur le sujet, bien qu’elles soient les premières victimes de ces violences. Nous avions conclu notre rapport d’enquête sur la constatation que malgré tout les mentalités évoluaient petit à petit, surtout auprès de la classe d’âge des 25-45 ans, et que les campagnes sur les violences sexuelles portaient leurs fruits, notamment pour la reconnaissance des conséquences psychotraumatiques des violences sexuelles et de leur gravité. Il nous était apparu nécessaire de lancer des campagnes spécifiques à destination de toutes les classes d’âge et des femmes, et de continuer à informer sans relâche la population française pour améliorer sa connaissance de la loi, de ses droits et des statistiques concernant les violences sexuelles.

La culture du viol et ses conséquences

La culture du viol se définit comme l’adhésion d’une société à de nombreux mythes sur le viol. Ces mythes sur le viol sont analysés de façon très complète  dans  le blog féministe Antisexisme et dans le livre Pour en finir avec la culture du viol paru en 2018. Elle nous rappelle que Lonsway et Fitzgerald (1994) ont défini les mythes sur le viol comme étant des : « Attitudes et croyances généralement fausses, mais répandues et persistantes, permettant de nier et de justifier l’agression sexuelle masculine contre les femmes » mais c’est valable pour toutes les victimes : femmes et hommes, adultes et enfants. Et on peut regrouper ces attitudes et croyances en trois grandes catégories :
- « Il ne s’est rien produit » : un certain nombre de mythes promeuvent l’idée que les femmes accusent souvent les hommes à tort de viol, inventent des viols qui n’existent pas.
- « Il s’est bien passé quelque chose mais ce n’est pas un viol » : il y a eu un malentendu, c'est une relation sexuelle, pas un viol, elle était en fait consentante, elle l’a voulu ou elle a aimé ça » mais elle ne l’assume pas ou elle l’interprète à tort une relation sexuelle comme un viol. Ce sont les mythes particulièrement pervers qui prétendent qu’une femme qui dit « non » pense « oui » ; que la violence est sexuellement excitante pour les femmes ; que la victime aurait pu et su résister si elle n’avait pas été consentante.
- « Elle l’a bien mérité, elle est responsable de ce qui s’est passé », il y a bien eu viol mais la responsabilité du violeur est atténuée à cause du comportement de la victime, ce sont des mythes cruels comme « Elle était habillée de manière trop sexy » ou « Elle marchait seule la nuit », « Elle est allée chez un inconnu » et c’est elle qui a provoqué la violence qui s’est abattue sur elle et en est responsable, puisqu’elle aurait pu éviter cette violence si elle s’était protégée, si elle avait été moins imprudente. Ces mythes véhiculent que c’est la victime, son comportement qui crée le viol et produit un agresseur qui sans cette victime là ne serait pas passé à l’acte, la victime est donc considérée comme ayant été à l’origine de la chute d’un homme qui voit sa vie brisée à cause d’elle.

Comme ces mythes alimentent une tolérance face aux comportements sexuels violents et leur garantissent une impunité quasi totale, l’association Mémoire Traumatique et Victimologie a demandé à IPSOS de réaliser à nouveau une enquête pour déterminer comment la population française évolue dans sa manière d’appréhender ces violences.

Comme on peut le lire dans le rapport complet à télécharger les chiffres provenant des études de victimation sont accablants et ne régressent pas avec plus de 250 000 viols et tentatives de viols par an : les grandes enquêtes de victimation montrent qu’une femme sur 6 et 1 homme sur 20 ont subi au moins un viol ou une tentative de viol dans leur vie, dans plus de 60% des cas en tant que mineur.e.s.

conséquences de la culture du viol

Résumé des résultats de l’enquête 2019

Trois ans après, nous allons voir que si les représentations sexistes régressent un peu, les fausses représentations et les mythes sur le viol qui constituent ce qu’on nomme le déni et la culture du viol ont la vie dure et en sortent même renforcés malgré le mouvement #MeToo, dont ils pourraient en être une réaction négative (backlash).

Effet #MeToo considéré comme positif

Si d’un côté les Français.e.s sont 83% à penser que #MeToo a eu un effet postif sur la libération de la parole des femmes et leur capacité à porter plainte, 79% sur l’augmentation du nombre de plainte, et 69% à penser que grâce à #MeToo elles seront mieux soutenues par leur entourage, et les témoins,

effet #MeToo considéré comme positif

ils sont moins nombreux 57% à penser que #MeToo améliorera les relations entre les hommes et les femmes et rendra les hommes plus respectueux, et leur permettra de s’habiller comme elles le veulent.

Des stéréotypes sexistes qui perdurent

Les stéréotypes hommes/femmes restent persistants, même si ils sont en léger recul en ce qui concerne la sexualité : les Français.e.s considèrent moins que les femmes ont besoin d’être amoureuses pour envisager un rapport sexuel (64% vs 74% en 2015), et que pour un homme il est plus difficile de maîtriser ses désirs sexuels (57% vs 63% en 2015) ou que les hommes sont plus rationnels que les femmes (38% vs 42% en 2015).

des stéréotypes sexistes qui perdurent

En revanche on constate une légère hausse sur le pourcentage de Français.e.s qui pensent que les femmes savent beaucoup moins que les hommes ce qu’elles veulent (26% vs 25% en 2015) et sur le fait que dans la vie les femmes ressentent de nombreux évènements comme violents alors qu’ils ne le sont pas pour les hommes (78% vs 76% en 2015).

Et toujours une forte adhésion à la culture du viol

Les Français.e.s sont à peine moins nombreu.x.ses à penser qu’une femme peut prendre du plaisir à être forcée (18% vs 21% en 2015) ou que beaucoup de femmes quand elles disent non pour une relation sexuelle pensent oui (17% vs 19% en 2015)

toujours une forte adhésion à la culture du viol

Mais un peu plus nombreu.x.ses à estimer que si la victime a eu une attitude provocante en public cela atténue la responsabilité du violeur (42% vs 40% en 2015) et à penser qu’à l’origine d’un viol, il y a souvent un malentendu (32% vs 29% en 2015).

Fausses représentations et méconnaissance des statistiques sur le viol

Malgré toutes les campagnes d’information, les enquêtes, les publications, les émissions et les documentaires 51% des Français.e.s continuent d'adhérer au mythe des viols qui seraient avant tout le fait d’inconnus dans l’espace public, et seuls 25% pensent que les viols sont commis en famille. Le « vrai viol » reste celui commis par un inconnu avec violence dans l’espace public sur des femmes adultes, et si on prend toute ses précautions on ne risque pas d’être violé.e.s, alors que 90% des viols sont le fait de proches.

Seuls 22% des Français.e.s savent que les viols sont commis essentiellement sur des mineurs et 53% savent que d’autres personnes vulnérables comme les personnes handicapées ou autistes ont plus de risque de subir des viols (les mineurs sont les principales victimes de viols, les femmes handicapées ont quatre fois plus de risque, les filles handicapées mentales ont 6 fois plus de risque et les femmes autiste sont 88% à avoir subi des violences sexuelles)

La résistance reste toujours au cœur de la définition du viol pour les Français.e.s et céder par contrainte morale ou après des menaces est toujours considéré comme un comportement qui peut disqualifier le viol en partie. Mais cela s’améliore par rapport à 2015 (15% vs 21% en 2015 pour la pénétration vaginale pénienne, 29% vs 37% pour la pénétration orale pénienne, 20% vs 24% pour la pénétration vaginale digitale)

la méconnaissance des statistiques du viol

Les Français.e.s surestiment le nombre de plaintes, ils sont 69% à penser que plus de 25% des victimes portent plainte pour viols, alors qu’elles sont moins de 10% en fait.
De même les Français.e.s surestiment fortement le nombre de condamnations pour viols, ils sont 90% à penser que les condamnations pour viols ont augmenté depuis 10 ans, alors qu’elles ont diminué de 40% en 10 ans.

Méconnaissance de la définition légale du viol

La moitié des Français.e.s considèrent que forcer une personne à faire une fellation n’est pas un viol mais une agression sexuelle.
1 Français.e.s sur 4 considèrent que réaliser un acte de pénétration sexuelle avec le doigt sur une personne qui le refuse n’est pas un viol.
15% des Français.e.s considèrent qu’il n’y a pas de viol si une personne cède quand on la force.
21% des Français.e.s considèrent que forcer sa conjointe à avoir un rapport sexuel alors qu’elle le refuse n’est pas un viol.
méconnaissance de la définition légale du viol

Mythes sur le viol et culpabilisation des victimes

Pour 42% des Français.e.s (vs 40% en 2015) cela atténue la responsabilité du violeur si la victime a eu une attitude provocante en public, pour 31% (vs 27% en 2015) une victime est en partie responsable si elle a déjà eu des relations sexuelles avec le violeur auparavant.

Les victimes accusent à tort par déception amoureuse ou pour se venger pour 37% (vs 32 en 2015), et pour 27% (vs 24% en 2015) beaucoup de viols ayant fait l’objet de plaintes n’en sont pas.

Pour 43% des Français.e.s (vs 41% en 2016) si une victime se défend vraiment elle fait fuir le violeur, pour 30% (vs 27% en 2016) si la victime ne réagit pas ce n’est pas une violence sexuelle, et pour 30% si la victime respecte certaines règles de précaution elle ne risque pas d’être violée.

mythes sur le viol et culpabilisation des victimes

Malgré toutes les campagnes d’information, les enquêtes, les publications, les émissions et les documentaires les Français.e.s continuent d’adhérer au mythe des viols qui seraient avant tout le fait d’inconnus dans l’espace public, sur des femmes adultes, dans des contextes de prise de risque (si on prend toute ses précautions on ne risquerait pas d’être violé.e.s) alors que les viols sont pour 90% le fait de proches, qu’ils sont commis majoritairement sur des mineurs et d’autres personnes vulnérables comme les personnes handicapées marginalisées ou discriminées.

Une connaissance paradoxale des mécanismes pychotraumatiques !

Les Français.e.s ont paradoxalement une bonne connaissance des mécanismes psychodramatiques et de la gravité des conséquences des violes sur la santé à long terme.

C'est une des caractéristique de cette enquête de 2019 : les Français.e.s sont une grande majorité à comprendre qu’il soit très difficile pour des victimes de viol de parler et de porter plainte, une majorité à connaître la gravité des conséquences psychotraumatiques des viols (cf enquête de 2016), et à connaître :
- les phénomènes de sidération traumatique qui paralysent la victime et l’empêchent de réagir et de s’opposer pour 82% des Français.e.s, - les phénomènes de dissociation traumatique qui anesthésient la victime, l’empêche de se défendre et de quitter son agresseur en la maintenant sous emprise, pour 72% des Français.e.s,
- les phénomènes d’amnésie traumatique qui l’empêche de se remémorer en partie ou en totalité des violences pour 74% des Français.e.s,
Et pourtant pour une bonne partie d’entre eux cela ne remet nullement en question des représentations fausses qui contredisent manifestement ce qu’ils savent et qu’il serait logique d’abandonner. Tout se passe comme si certaines représentations étaient imperméables à l’épreuve de la réalité et à la réflexion, s’apparentant à des croyances qui colonisent et faussent le jugement d’une bonne partie de la société.

Stéréotypes sexistes, représentations liées à une vision inégalitaire et dominante du monde où la loi du plus fort s’impose, théories anti-victimaires, mise en cause des victimes ont beau se heurter à la réalité des viols, à leurs chiffres catastrophiques, à leur gravité et à leur impact traumatique, à leur cruauté et leur caractère dégradant et inhumain, à la loi du silence qui s’impose aux victimes, à l’absence de protection des victime et à leur impunité, plus ou moins bien connus mais jamais totalement ignorés comme le montre cette enquête, la culture du viol et de la domination avec son prêt-à-penser l’emporte trop souvent malgré ses incohérence et son injustice manifestes.

Finalement, si tout le monde s’accorde à dire que les viols sont graves et peu dénoncés, dans les faits les Français.e.s ont tendance à trouver qu’une bonne partie des viols n’en sont pas, ce ne sont pas de « vrais viols » et qu’une bonne partie des personnes qui portent plainte pour viol ne sont pas de vraies victimes. En cela ils s’accordent bien avec la justice qui classe sans suite 74% des plaintes pour viol (alors que ces plaintes ne représentent que 10% de l’ensemble des viols), correctionnalise la moitié des plaintes pour viols qui sont instruits, et qui pour finir ne juge comme des viols que 10% des plaintes pour viols. Et, comme la justice, ils ont du mal à anticiper les conséquences de cette façon de traiter les plaintes pour viols en terme d’impunité pour les agresseurs, catastrophique pour les victimes et la société.

Les Français.e.s et la loi Schiappa

voir le chapitre correspondant du rapport d'enquête

2019 — IPSOS rapport d'enquête
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2019 - IPSOS — résultats de l'enquête
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