La consolation

La consolation
(Editions Lattès, 2016) par Flavie Flament,

Un livre percutant et bouleversant dont je vous recommande la lecture. Il peut servir de plaidoyer pour que toutes les victimes de violences sexuelles condamnées au silence, à la souffrance et à l’oubli soient enfin reconnues, protégées, soignées et puissent accéder à la justice tout au long de leur vie.
Dre Muriel Salmona

Dans La consolation, Flavie Flament rend hommage et justice non seulement à la petite fille traumatisée qu’elle était, celle qu’elle appelle « Poupette », mais également à toutes les innombrables victimes de violences sexuelles condamnées au silence.
Elle témoigne pour que les victimes de violences sexuelles se sentent moins seules, pour leur rendre la parole, leur redonner espoir : retrouver la mémoire après une longue période d’amnésie traumatique et se libérer des traumatismes de son enfance est possible.

Tout au long de son récit, nous allons à la recherche de «Poupette», la petite fille terrorisée qui gisait abandonnée dans les tréfonds de sa mémoire, pour lui tendre enfin la main, la prendre dans nos bras, la protéger et la consoler. Et c’est lors d’une consultation avec son médecin, alors qu’elle ramasse une photo tombée de son album, que sa mémoire se libère brutalement, et lui fait revivre le viol qu’elle a subi à 13 ans.

Un message universel

Flavie Flament délivre un message dont la justesse participe à remettre le monde à l’endroit. Son livre a une dimension universelle, il illustre tout ce que vivent et subissent les victimes de ces crimes sexuels, particulièrement les enfants, toutes les conséquences traumatiques à long terme sur leur santé et tous les aspects de leur vie. Il illustre également à quel point les victimes sont abandonnées, condamnées au déni, à la loi du silence, à l'impunité de leurs agresseurs et à de nouvelles violences. Il permet une prise conscience des efforts monumentaux et des stratégies de survie très coûteuses que doivent déployer toutes les victimes de violences sexuelles pour résister aux violences et aux traumas, pour tenir debout, le plus souvent dans une grande solitude, pour survivre malgré tout et garder intacte cette belle étincelle de vie et d'amour au plus profond d'elles. À quel point c’est héroïque, et à quel point c’est injuste alors qu’elles auraient du être protégés, entourés, soutenus, aidés, consolés, soignés, d’autant plus si elles étaient enfants lors des premières violences.
Rappelons que les principales victimes de violences sexuelles sont les enfants, les filles étant trois à six fois plus exposées que les garçons : une fille sur cinq subit des agressions sexuelles (Hillis, 2016 ; OMS, 2016). Les enfants sont une cible privilégiée des prédateurs sexuels qui opèrent toujours dans des contextes d’inégalité, de domination masculine et de déni de droits. Ils sont vulnérables, sans défense, dépendants et soumis à l’autorité des adultes. Il est facile de les manipuler, de les menacer et de les contraindre au silence.

Flavie Flament en décrivant dans son livre le parcours de Poupette, décrit celui des très nombreuses victimes qui ne sont jamais protégées (83% dans notre enquête de 2015, Impact des violences sexuelles de l'enfance à l'âge adulte IVSEA, 2015), et qui, après les premiers viols, vont en subir de nombreux autres, comme 70% des victimes (IVSEA, 2015). l’état de dissociation traumatique que leur cerveau a mis en place pour qu’elles puissent survivre les rend très vulnérables face à d’autres prédateurs qui les prennent d’autant plus pour cible : la dissociation déconnecte et anesthésie émotionellement ce qui met les victimes dans l’incapacité de s’opposer et facilite la mise en place d’une d’emprise.

Comme pour beaucoup d’enfants victimes de violences sexuelles, Flavie Flament nous montre bien comment son premier prédateur l’a repérée et choisie parce qu’elle n’était pas protégée ni valorisée par une mère qu’elle décrit comme intrusive, dénigrante, ne respectant pas ses droits, et l’instrumentalisant pour son propre compte, pour en faire son faire-valoir. Il a donc pu compter sur une mère dépeinte comme prête à livrer sa fille pour ressentir l’excitation d’une «gloire» par procuration : avoir une fille choisie comme modèle d’un photographe mondialement connu. ll lui aura suffi de tester son niveau de complicité en ouvrant la porte nu pour une séance de photo sans qu’elle ne réagisse, pour être sûr de pouvoir passer à l’acte sur sa fille sans aucun risque, ce qu’il a fait… Nous découvrirons que «Poupette», quelques années après, sera livrée régulièrement par sa mère à un homme de 50 ans pour que cette dernière ait sa dose d’excitation perverse transgressive.

Comme pour beaucoup d’enfants victimes de violences sexuelles, elle ne sera donc pas protégée, personne n’aura peur pour elle, ne verra sa souffrance, ne reconnaîtra ce qu’elle a subi, ni ne le dénoncera.

Comme pour la grande majorité des victimes de violences sexuelles, elle ne pourra survivre seule qu’au prix d’un mécanisme de sauvegarde neurologique : la dissociation traumatique.

Cette dissociation traumatique entraîne une anesthésie émotionnelle et des troubles de la mémoire souvent responsables d’amnésie traumatique partielle ou complète des violences subies. Pour Flavie Flament son amnésie traumatique durera 25 ans…

Et comme pour beaucoup de victimes de violences sexuelles, à la sortie de son amnésie traumatique il sera trop tard pour faire valoir ses droits à une justice pénale, la prescription l’empêchera de porter plainte et et rendra son agresseur inattaquable.

Mais comme trop peu de victimes de violences sexuelles, elle finira par rencontrer les bonnes personnes, et surtout un médecin qui saura identifier des troubles psychotraumatiques et une mémoire traumatique, et proposer des soins efficaces.

La sortie de l'amnésié traumatique

Flavie Flament nous invite à suivre pas à pas son cheminement et sa métamorphose à partir du moment, où à la mort de la seule personne de sa famille qui la sécurisait - son grand père - elle est soudain envahie par une terreur et des flashbacks inexplicables (une fenêtre à la peinture écaillée, un tissu vert profond, un coin de ciel bleu caché derrière un mur blanc) qui remontent des tréfonds de son âme et font exploser tous ses repères. Elle va passer brutalement de l’état d’adulte dissociée depuis l’enfance, étrangère à elle-même, déconnectée pour survivre, mais qui sait que quelque chose ne va pas, qu’une douleur, une profonde tristesse et une peur tenace dont l’origine lui échappe ont toujours cohabité en elle, à celui d’une adulte terrorisée, entièrement colonisée par des violences de son passé, et par la souffrance fantôme de l'enfant blessée et abandonnée qu'elle a été. Une adulte en proie soudain à des angoisses et des attaques de panique incompréhensibles qui sont en fait une mémoire traumatique qui transforme sa vie en terrain miné. Une adulte avec une enfant qui gît au fond d'elle-même, et qui attend, recroquevillée, en proie aux pires souffrances, aux pires désespérances et qui hurle sans fin en espérant un jour être entendue et enfin consolée.

Pendant plusieurs années, elle va se battre pour avancer malgré la douleur, l'insécurité, l'angoisse et la peur : peur du monde, peur de soi, peur d'être folle. Elle va se battre pour comprendre coûte que coûte. Et après de nombreuses tentatives décevantes, elle a la chance de rencontrer un psychiatre qui reconnaît que sa souffrance provient d’une remontée de fragments de mémoire traumatique et donc d’un lourd traumatisme enfoui. Une mémoire traumatique dans un premier temps impossible à interpréter, il va falloir beaucoup de séances de psychothérapie avant qu’elle puisse être décryptée. C’est au cours de l’une de ces séances, qu’une photo glisse d’un album qu’elle avait apporté à la demande de son médecin - une photo d’elle, l’été de ses 13 ans prise par un photographe de renommé internationale - et déverrouille totalement la boîte de pandore de sa mémoire traumatique en faisant resurgir les viols qu’elle avait subis dans une terreur absolue. «Et soudain, tout ce que j’avais oublié m’est revenu.»

«Tout de suite, je l’ai reconnue. Sur cette photo. Sur cette photographie au format 10x15, elle me regardait. Comme si elle m’attendait depuis des années, dans sa robe de crêpe, adossée contre le mur blanc.»
«Le visage qui me fait face est une énigme. Poupette a disparu derrière un masque de tristessse : ne reste d’elle que l’enveloppe vide et troublante de ses 13 ans. Il y a au fond du regard qui me fixe, une résignation qui me glace : les larmes sont inutiles. Il ne reste plus rien à pleurer. Le saccage a sidéré les traits, statufié l’enfant remuante, pétrifié cette bouche qui semble fermée à double tour sur ce secret qui d’un coup, dans le cabine du docteur G., se rompt à jamais comme un hurlement que plus rien ne viendra arrêter.
Il m’a violée, me suis-je entendue dire.»

Les flashbacks s’expliquent alors, et s’intègrent dans le décor d’une scène initiale d’une violence extrême. Les souvenirs ont enfin refait surface, Flavie Flament est prête à revisiter tout le passé, à accueillir la vérité, et à identifier toutes les violences qui piégeaient «Poupette» dans un temps figé par la terreur, Flavie Flament est allée la chercher, pour la prendre dans ses bras, avec amour et la consoler en lui promettant de ne plus jamais l’abandonner.

«Non, Poupette, je te le promets, je ne te tournerai pas le dos. Ensemble, nous allons remonter. Nous allons chercher, creuser de nos doigts la terre du passé, soulever les pierres tombales, profaner les lourdes sépultures du non-dit, plonger nos mains dans la merde, enfoncer nos bras, casser nos ongles, forer au plus profond. Nous allons entendre des râles, des éclats de voix, des colères, des menaces pour que nous nous arrêtions, mais plus rien nous arrêtera…
Je ne t’abandonnerai pas une seconde fois.»
«Le chemin fut long et douloureux pour que Poupette et moi nous consolions. l nous aura fallu des années de soutien et d’analyse (…) Il nous aura fallu coupe des pns, tisse des liens, écouter notre voix intérieure et faire taire celles qui voulaient nous museler.»

Le travail psychothérapique a permis à Flavie Flament de reconstituer tous les morceaux du puzzle d’une histoire réduite en miettes par tous les agresseurs, il a éclairé les moindres recoins, dénoncé tous les mensonges, toutes les manipulations, toutes les trahisons, toutes les violences, reconnu toutes les souffrances, tous les droits bafoués, fait des liens entre chaque symptôme et son origine traumatique, et c’est ainsi que petit à petit la mémoire traumatique s’est intégrée en mémoire autobiographique. Pour que la personne qu'elle est fondamentalement puisse à nouveau s'exprimer et vivre tout simplement. Pour que l'enfant terrorisé ne soit enfin plus jamais seul. "Pour abattre le mur du silence et rejoindre l'enfant qui attend" (Alice Miller).

Mécanismes en jeu dans les amnésies traumatiques

L’amnésie traumatique qu’a présentée Flavie Flament est un phénomène fréquent, elle peut-être complète ou parcellaire chez les victimes de violences sexuelles, elle fait partie des conséquences psychotraumatiques de ces violences dont le législateur devrait mieux tenir compte. De très nombreuses études cliniques ont décrit ce phénomène qui est connu depuis le début du XXe siècle et qui avait été décrit chez des soldats traumatisés qui étaient amnésiques des combats.
Les violences sexuelles et plus particulièrement les viols ont des répercussions traumatiques majeures à court, moyen et long termes. Avec les tortures et les situations de massacres, ce sont les violences qui entraînent les psychotraumatismes les plus fréquents et les plus graves : en font partie la mémoire traumatique, ainsi que la dissociation traumatique et l’amnésie qui souvent l’accompagne.
C’est chez les victimes de violences sexuelles dans l’enfance que l’on retrouve le plus d’amnésies traumatiques, leur cerveau étant beaucoup plus vulnérables aux violences et au stress extrême et aux traumatismes qu’elles entraînent. Ce phénomène peut perdurer de nombreuses années, voire des décennies. 59,3% des victimes de violences sexuelles dans l’enfance ont des périodes d’amnésie totale ou parcellaire (Brière, 1993).
Des études prospectives aux États-Unis (Williams, 1995, Widom, 1996) ont montré que 17 ans et 20 ans après avoir été reçues en consultation dans un service d’urgence pédiatrique, pour des violences sexuelles qui avaient été répertoriés dans un dossier médical, 38% des jeunes femmes interrogées pour la première étude et 40% pour l’autre ne se rappelaient plus du tout les agressions sexuelles qu’elles avaient subies enfant [2]. Ces amnésies étaient fortement corrélées au fait que l’agresseur ou son complice était un proche parent que la victime côtoyait au jour le jour, ou que les violences avaient été particulièrement brutales. Notre enquête de 2015, Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte, auprès de 1214 victimes de violences sexuelles a montré que 37% des victimes mineures rapportent des périodes d’amnésies traumatiques qui peuvent durer jusqu’à 40 ans et même plus longtemps dans 1% des cas. Elles ont duré entre 21 et 40 ans pour 11% des victimes, entre 6 et 20 ans pour 29% d’entre elles et de moins de 1 ans à 5 ans pour 42% d’entre elles. On peut en conclure au vu de ces résultats que la loi actuelle sur les délais de prescription en cas de viol ou d’agression sexuelle est inadaptée et mériterait d’être modifiée, comme nous le voir plus loin.
Toutes ces études montraient également que les souvenirs retrouvés étaient fiables et en tout point comparables avec des souvenirs traumatiques qui avaient été toujours présents chez d’autres victimes, et qu’ils réapparaissaient le plus souvent brutalement et de façon non contrôlée "comme une bombe atomique", avec de multiples détails très précis et accompagné d’une détresse et d’un sentiment d’effroi comme nous le décrit Flavie Flament.
Cette remontée brutale des souvenirs traumatiques a très souvent lieu quand enfin la victime n’est plus exposée directement au système agresseur (les agresseurs, leurs complices, le contexte des violences) ou encore à de nouvelles violences (violences conjugales, violences au travail, situations prostitutionnelles,…) : il peut donc s’agir d’une séparation ou d’un éloignement avec la famille quand l’agresseur ou des complices en font partie, un changement radical de contexte comme une émigration, l’arrêt de toute situation de violence, une mise en sécurité avec un nouvel entourage bienveillant. Mais cela peut-être également un grand bouleversement émotionnel qu’il soit très positif ou très négatif (rencontre, grossesse et naissance, promotion, maladie, interventions avec anesthésie, décès, nouveau traumatisme subi par soi ou par un proche) ou bien à une psychothérapie.

Une disjonction des circuits émotionnels et de la mémoire

Le mécanisme en cause de ces amnésies traumatiques est avant tout un mécanisme dissociatif de sauvegarde que le cerveau déclenche pour se protéger de la terreur et du stress extrême générés par les violences, ce mécanisme qui fait disjoncter les circuits émotionnels et de la mémoire, et entraîne des troubles de la mémoire. Ce mécanisme va faire co-exister chez la victime des phases d’amnésie dissociative et des phases d’hypermnésie traumatique (mémoire traumatique).
Les violences sexuelles ont un effet de sidération du psychisme qui paralyse la victime et empêche le cortex cérébral de contrôler l'intensité de la réaction de stress et la production d'hormones de stress (adrénaline, cortisol).
Un stress extrême, véritable tempête émotionnelle, envahit alors l'organisme et - parce qu'il représente un risque vital cardio-vasculaire et d’atteintes neurologiques - déclenche des mécanismes neurobiologiques exceptionnels de sauvegarde. Ces mécanismes ont pour effet de faire disjoncter le circuit émotionnel et d’isoler la petite structure cérébrale à l’origine de la réponse émotionnelle (l’amygdale cérébrale) avec la production par le cerveau d’un cocktail de substance ayant un effet morphine et kétamine (endorphines et antagonistes des récepteurs de la NMDA). La disjonction déconnecte l’amygdale cérébrale qui ne peut plus faire secréter les hormones de stress, et qui n’alerte plus le cortex (siège des fonctions supérieures du cerveau) : cela entraîne un état d’anesthésie émotionnelle et physique que l’on nomme dissociation traumatique.
Cette dissociation s’accompagne d’un sentiment d'étrangeté, d’irréalité et de dépersonnalisation, comme si la victime devenait spectatrice de la situation puisqu'elle la perçoit sans émotion.
Parallèlement à la disjonction du circuit émotionnel, se produit une disjonction du circuit de la mémoire. La mémoire sensorielle et émotionnelle de l’événement contenue dans l’amygdale cérébrale est déconnectée de l'hippocampe (une autre structure cérébrale qui gère la mémoire et le repérage temporo-spatial, sans elle aucun souvenir ne peut être mémorisé, ni remémoré, ni temporalisé), elle ne peut donc pas être intégrée.
Lors de la disjonction, l'hippocampe ne peut pas faire son travail de différenciation, d'encodage et de stockage de la mémoire, celle-ci reste dans l'amygdale sans être traitée, ni transformée en mémoire autobiographique. Et c’est cette mémoire émotionnelle non intégrée, indifférenciée, piégée hors du temps et de la conscience dans l’amygdale cérébrale, "boîte noire des violences" qui est la mémoire traumatique. Cette mémoire traumatique est une machine à remonter le temps qui va faire revivre à l’identique comme si elles se reproduisaient à nouveau les violences par des flashbacks, des réminiscences, des cauchemars, accompagnés de la même détresse, la même terreur, des mêmes douleurs, émotions et sensations, au moindre lien qui les rappelle (lieu, situation, date, heure, phrases, bruits, odeurs, sensations, etc.).

Ce qui se passe après

Tant qu’il y aura disjonction et dissociation, la mémoire traumatique pourra être activée mais elle sera anesthésiée et donc pas ressentie, la victime n’aura pas accès aux événements traumatiques qui seront soit flous, indifférenciés comme irréels, sans connotation émotionnelle, ou soit inaccessibles, suivant l’intensité de la dissociation elle pourra en être amnésique partiellement ou totalement.
Mais si la dissociation disparaît, ce qui peut se produire quand la victime est enfin sécurisée ou si la dissociation est dépassée par d’un gros choc émotionnel ou traumatique (pour Flavie Flament c’est la mort de son grand-père qui était la seule personne de sa famille à l’aimer), alors la mémoire traumatique n’est plus anesthésiée et elle est ressentie brutalement et intensément lors de liens rappelant les violences, et c’est intolérable. La mémoire traumatique envahit alors l’espace psychique de la victime de façon incontrôlable lui faisant revivre à l’identique les violences, le plus souvent sous la forme de fragments de scène, de flashbacks (images, sons odeurs, sensations), de reviviscences d’émotions et d’éprouvés sensori-moteurs (impression de tomber, de recevoir des coups, d’être touchée, attrapée, etc.), de cauchemars, accompagnés des mêmes sensations de mort imminente (attaques de panique).
Et c’est une torture pour la victime qui sera obligée de mettre en place des stratégies de survie pour essayer d’y échapper : conduites d’évitement de tout ce qui pourrait l’allumer, et conduites dissociantes pour à nouveau la déconnecter et l’anesthésier : drogues, alcool et conduites à risque et mises en danger qui font re-déclencher la disjonction en produisant un stress extrême.
La victime va donc osciller entre des périodes de dissociation avec d’importants troubles de la mémoire qui peuvent aller jusqu’à une amnésie complète et des périodes d’activation de la mémoire traumatique où elle va revivre de façon hallucinatoire les violences.

Un phénomène avéré, mais encore trop méconnu

Cette mémoire traumatique peut se traiter, les événements traumatiques seront alors intégrés en mémoire autobiographique, mais malheureusement les professionnels ne sont pas formés à la psychotraumatologie et l’immense majorité des victimes de violences sexuelles dans l’enfance sont abandonnées et ne sont ni identifiées, ni protégées, ni soignées.
Cette méconnaissance des phénomènes psychotraumatiques, de la réalité et de la fréquence des violences sexuelles commises sur des mineurs font que les victimes qui ont des réminiscences traumatiques ne sont le plus souvent pas crues quand elles dénoncent les violences. On leur renvoie qu’il s’agit de fantasmes, d’hallucinations rentrant dans le cadre de psychoses, ou bien de faux souvenirs.
Quand les victimes de violences sexuelles sortent de leur état de dissociation et d’amnésie traumatique dans lequel leur cerveau les a mis pour assurer leur survie face à l’impact psychotraumatique majeurs des viols et le stress extrême qu’ils entraînent, il est ainsi souvent trop tard. Elles apprennent alors que les viols sont prescrits.

La prescription prive les victimes de leurs droits

Pour des viols subis après 18 ans, le délai de prescription actuel est de 10 ans et de 3 ans pour les agressions sexuelles. Au-delà, il n’est plus possible de poursuivre au pénal l’agresseur. Depuis la loi Perben II du 9 mars 2004, le délai de prescription est de 20 ans après la majorité pour les viols subis en tant que mineurs de 18 ans, et c’est également le cas pour les agressions sexuelles sur mineurs avec circonstances aggravantes (mineurs de 15 ans, par personnes ayant autorité ou par ascendant, en réunion, avec une arme).
Il n’est donc plus possible, pour une personne ayant subi des violences sexuelles en tant que mineure (viols ou des agressions sexuelles accompagnées de circonstances aggravantes) de faire valoir ses droits en portant plainte au pénal après 38 ans, ou après 28 ans si elle est née avant le 9 mars 1976 (la loi de 2004 n’étant pas rétroactive, il ne fallait pas que les faits soient déjà prescrits le 9 mars 2004, la prescription de la loi précédente étant de 10 ans après la majorité, il fallait ne pas avoir plus de 28 ans).
Or les victimes de violences sexuelles dans l’enfance sont entre 30 et 40% à présenter de longues périodes d’amnésie traumatique, d’autant plus si elles sont toujours exposées à des violences , à leur agresseur ou à leurs complices. En majorité, elles mettent plus de 15 ans mais elles restent nombreuses à mettre plus de 25 ans à sortir de l’amnésie et à pouvoir en parler.

La prescription est un véritable couperet

Pour Flavie Flament, née le 2 juillet 1974, les viols étaient déjà prescrits au moment de la loi Perben II puisqu’elle avait 29 ans. Et elle avait plus de 38 ans quand ses souvenirs sont revenus… Pour une de mes patientes violée par le conjoint de sa mère alors qu'elle était enfant, la prescription s’est jouée à quelques semaines par rapport à la loi Perben II, étant née fin janvier 1976. Alors qu’elle n’avait pas encore 38 ans, elle n’a pas porté plainte en 2013. Elle a récemment écrit une lettre à Christiane Taubira alors Garde des Sceaux.
La prescription peut alors aboutir à des situations totalement incohérentes ou, pour des mêmes faits commis par les mêmes agresseurs, à quelques mois ou années près, des victimes peuvent porter plainte et aller aux assises et d’autres non. Laurent Esnault, victime de l’Ecole en bateau et réalisateur d’un documentaire, en témoigne dans une lettre que j’ai remise à la commission du Sénat lors de mon audition en 2014.
Cette prescription est un véritable couperet pour les victimes,elle est vécue comme une atteinte à leurs droits et comme une grande injustice. C’est une véritable exclusion que la société leur impose, et une loi du silence puisque le fait de parler publiquement de ce qu’elles ont subi en citant le nom de leurs agresseurs leur fait courir le risque d’être attaquée en justice par leur agresseur. Dans un retournement pervers total de victimes elles peuvent devenir coupables.
La diffamation est définie par par l’article 29 al.1 de la loi du 29 juillet 1881, comme "toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé". La diffamation commise envers les particuliers par l'un des moyens énoncés en l'article 23 sera punie d'une amende de 12.000 euros.
Et jusqu’en 2013, l’injustice était encore plus grande puisque l’article 35 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881 excluait toute possibilité de rapporter la preuve du fait diffamatoire, lorsqu’elle se référait à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision. Cela voulait dire que la victime de viols accusée de propos diffamatoires quand les faits étaient prescrits ne pouvait pas se défendre en donnant des éléments de preuves de ces faits. Cet article a été déclaré, après une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), comme anticonstitutionnel et abrogé le 9 avril 2013.

Flavie Flament pourrait donc se défendre en donnant des preuves des viols (témoignages, faisceaux d’indices), de même Thierry Ardisson pourra le faire s’il est attaqué. Mais leur situation n’est pas équivalente. Même s’il y a pour les deux une prise de risque d’être attaqué et possiblement condamné à une amende de 12.000 euros, l’impact psychologique et le sentiment d’injustice ne sera pas du même ordre.

En ne citant pas le nom du photographe, Flavie Flament se protège non seulement d’une possible condamnation pour diffamation publique, mais surtout d’être exposée à une injustice encore plus traumatisante, et à son agresseur en position de toute puissance et d’impunité. Thierry Ardisson en a tenu compte en prenant ce risque à sa place.

Mais il reste possible pour Flavie Flament et pour toutes les victimes de viols prescrits de dénoncer les violences auprès du procureur de la République, s’il existe ou s’il est probable qu’il existe d’autres victimes du même agresseur dont les violences ne sont pas prescrites. Une enquête pourra être déclenchée, ce qui fut le cas pour la joueuse de tennis Isabelle Demongeot avec l’entraîneur de Camaret qui a été jugé et condamné. Isabelle Demongeot n’a pas pu porter plaine car les viols étaient prescrits pour elle, mais grâce à elle d’autres victimes ont pu accéder à la justice.

Rappelons-le, seules 10% des victimes de viols parviennent à porter plainte (entre les menaces, les manipulations, la culture du viol qui met en cause les victimes, la difficulté à identifier les violences subies, les troubles psychotraumatiques majeurs non pris en charge et la prescription qui les en empêchent), avec au final (avec les non-lieux, les affaires classées, les déqualifications en agressions sexuelles) un tout petit nombre de viols jugés en cour d’assises et 1% de condamnations (INSEE, ONDRP CVF 2010-2015).

La loi actuelle sur la prescription est inadaptée

Le viol est un crime dont l’impunité est quasi garantie. Notre société abandonne les victimes et bafoue leurs droits. Et rappelons que les principales victimes de violences sexuelles sont les enfants et les femmes. Dans le monde 120 millions de filles (une sur dix) ont subi des viols, et la prévalence des violences sexuelles est de 18% pour les filles et de 7,5% pour les garçons (OMS, 2014), 1 fille sur 5 dans le monde (S. Hillis, 2016). Au cours de leur vie, 20,4 % des femmes ont subi des agressions sexuelles, 16% des viols et des tentatives de viols (5% des hommes). Et selon les résultats de l’enquête IVSEA 2015 de notre association Mémoire Traumatique et Victimologie : 81% des victimes de violences sexuelles ont subi les premières violences avant l’âge de 18 ans, 51% avant 11 ans, et 21% avant 6 ans.

De toutes les violences sexuelles, celles qui touchent les enfants font partie des plus cachées. Chaque année, nous dit-on, près de 100 000 adultes sont victimes de viols et de tentatives de viol (84 000 femmes et 14 000 hommes) en France (INSEE, ONDRP CVF 2010-2015), mais on ne nous parle pas des victimes mineures pourtant bien plus nombreuses, estimées à 154 000 (124 000 filles et 30 000 garçons), puisque 59% des femmes victimes de viols et de tentatives de viols sont des mineures et 67% des hommes (France, INSERM INED CSF, 2008).

Au vu de ses résultats, on peut en conclure que la loi actuelle sur les délais de prescription en cas de viol ou d’agression sexuelle est inadaptée et mériterait d’être modifiée avec, comme en Californie, une imprescriptibilité pour les crimes sexuels. Faute de mieux, nous espérons que sera voté le rallongement du délai de prescription à 30 ans après la majorité pour les mineurs (pour les crimes et pour les délits sexuels aggravés) et à 20 ans pour les crimes sexuels pour les majeurs et de 6 ans pour les agressions sexuelles, mais cela ne couvrira pas toutes les victimes présentant des amnésies traumatiques, la loi ne sera pas rétroactive et de nombreuses victimes ne pourront toujours pas faire valoir leurs droits.

C’est pour cela que nous réclamons l’imprescribilité pour les crimes sexuels et des délits sexuels avec circonstances aggravantes.
Vous pouvez signer notre pétition co-signée par de nombreuses associations :

Pour une imprescriptibilié des crimes sexuels : lien externe

Et lire le texte complet du Manifeste : lien externe

La consolation : un texte percutant qui dénonce les systèmes agresseurs et remet le monde à l'endroit

De ce beau texte, on ne sort pas indemne. J’ose espérer que toutes celles et ceux qui le liront, ne verront plus le monde qui les entoure de la même façon, qu’ils y verront enfin plus clair, sans ce filtre mystIficateur que les agresseurs et tous leurs complices interposent pour empêcher de voir la réalité de ce qu’ils font subir à tant d’enfants dans une solitude infernale, et l’immensité de leur souffrance.
Ce filtre pervers transforme l’agresseur le plus criminel en une personne charmante, digne de confiance, plus ou moins géniale, plus ou moins admirée, un brin originale, le plus souvent fascinante dans sa capacité à se présenter comme d’une autre essence ; les violences sexuelles les plus atroces en tendresse, initiation, éducation, jeu, mise en scène artistique ; les victimes profondément traumatisées en enfants puis en adolescents difficiles, compliqués, rebelles, inadaptés, parfois même déficients autistes, puis en adultes fragiles névrosés, paumés, alcooliques, toxicomanes, déprimés, voire en malades mentaux.
Les agresseurs s’arrogent le pouvoir de tout falsifier : la nature des actes commis, ce que ressent l’enfant et ce qu’il doit penser. Dans une toute-puissance sur le mode du monde totalitaire de 1984 d’Orwell, ils prétendent que la recherche d’affection d’un enfant est une demande sexuelle, que sa terreur, son stress extrême sont de l’excitation, du désir et de la jouissance, que sa sidération et sa dissociation traumatiques sont du consentement, que la prédation est de la sexualité, que sa volonté de détruire et d’instrumentaliser l’enfant est au choix : de l’éducation, du jeu, de la tendresse, de l’amour …Une novlangue colonise notre discours, les pédocriminels sont des pédophiles c’est à dire éthymologiquement des personnes qui ont de l’amitié pour les enfants…
Face à ce fonctionnement pervers, il y a dans l’entourage de l’enfant une véritable incapacité à penser les violences et donc à les reconnaître, mais également à les entendre lorsqu'elles sont révélées. La révélation entraîne un tel stress émotionnel chez la plupart des personnes qui reçoivent la parole des victimes, qu’elles vont souvent mettre en place des systèmes de protection d’une efficacité redoutable. De plus, cette révélation remet en cause l’opinion favorable qu’elles pouvaient avoir des agresseurs. Le refus d’intégrer que de telles violences aient lieu dans des espaces que l’on pensait protecteurs et fiables, le sentiment d’horreur face à des crimes et des délits qui les rendent impensables et inconcevables, la peur des conséquences d'une dénonciation des violences, font que par angoisse, lâcheté ou complicité, tout sera mis en place pour dénier les violences et imposer le silence aux victimes.
Pour un enfant, être confronté à l’excitation perverse d’un adulte, à des gestes dégradants qui n’ont aucun sens, à une éjaculation, à une pénétration, est terrorisant, L’enfant, face à un adulte qui a tout pouvoir, a peur de mourir transpercé ou étouffé.
«Il va me tuer. Je le sais. Jamais je ne pourrai me relever (…) Frêle corps juvénile, pétrifié et agonisant d’angoisse. Petite fille de 13 ans. Condamnée. (…) J’allais mourir.»
Ces actes transgressifs sont terriblement destructeurs ils font basculer l’enfant dans un monde où tous les repères de son enfance s’écroulent, où plus rien n’a de sens, où il est réduit à un objet, un «jouet» entre les mains des agresseurs, où il est deshumanisé, où ceux qui sont censés le protéger, le détruisent, où il est soumis à des mises en scène inconcevables, sidérantes, qui l’isolent du reste du monde. Et, où il doit continuer à vivre comme si de rien n’était avec un monde adulte qui s’est révélé monstrueux et insensible à sa détresse. Il doit obéir, être au service, serrer les dents, ne pas se plaindre, et tant qu’à faire être reconnaissant, sinon…
C’est assimilable à de la torture et cela explique la gravité des conséquences psychotraumatiques, et l’impact sur leur vie, sur leur santé physique, mentale, affective et sexuelle, avec des risques suicidaires très importants, des risques de dépressions à répétition, de troubles anxieux, d’addiction, de troubles alimentaire, de conduites à risques, etc. Dans notre enquête de 2015 Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte, les victimes sont 95% à rapporter un impact sur leur santé mentale, et 69% sur leur santé physique.

Des violences qui traumatisent l'enfant durablement

Toutes les études internationales, ont montré qu’avoir subi des violences sexuelles dans l’enfance est un des déterminants principal de la santé même 50 ans après et peut faire perdre jusqu’à 20 ans d’espérance de vie si aucune prise en charge est mise en place (Felitti, 2010 ; Brown, 2009). Les conséquences sur la santé, sont à l'aune des violences subies. Plus elles ont été graves et répétées, plus leurs conséquences sur la santé sont importantes : risque de mort précoce par accidents, maladies et suicides, de maladies cardio-vasculaires et respiratoires, de diabète, d'obésité, d'épilepsie, de troubles de l'immunité, de troubles psychiatriques (dépressions, troubles anxieux, troubles graves de la personnalité), d'addictions, de troubles du sommeil, de l'alimentation et de la sexualité, de douleurs chroniques invalidantes, de troubles cognitifs etc.
Les violences sexuelles sont celles qui entrainent le plus de conséquences psychotraumatiques (dans plus de 80% des cas pour les enfants). Ces psychotraumas sont des réactions normales, universelles à des violences qui génèrent non seulement des blessures psychiques mais également neurologiques avec des dysfonctionnements importants des circuits émotionnels et de la mémoire, et des atteintes de certaines structures corticales (visibles sur des IRM, et qui sont heureusement réversibles grâce à la neuroplasticité du cerveau si la victime bénéficie de soins appropriés et d’un contexte bienveillant et sécurisant).

La difficulté d'en parler, ne pas être cru : une double peine

Comment, pour un enfant, arriver à en parler à quelqu’un de son entourage ?
Laissons une victime de l’école en bateau témoigner : "Le pendant, c'est la dureté du travail sur le bateau, les viols, les agressions sexuelles en silence, toujours, malgré la douleur, l'odeur, le dégoût. L'après, c'est le retour à Orly, au bout de l'escalator, l'enfant qui court pour se jeter dans les bras de sa mère qu'il n'a pas vue depuis des mois, voire des années pour certains. La maman qui demande : Alors, c'était bien ? Qu'est-ce que vous voulez lui répondre à part : Oui, c'était bien ? Le sexe trop gros d'un adulte dans la bouche d'un enfant ? Non... Il raconte les copains, les coquillages, le soleil. Mais le reste..., non. Alors, on entame un combat pour survivre, pour exister. Cet océan de larmes qui coulent en moi".
Et Thierry une autre victime de viol quand il avait 10 ans qui a écrit un bouleversant témoignage «Grâce, je me souviens de tout» sur son blog : "30 années à me taire. 30 années à m’en vouloir de quelque chose dont je n’étais pas coupable et me sentir comme avoir été avalé mâché et recraché dans un monde où il n y a plus ni innocence ni confiance ni normalité. Le viol est une bombe sale qui anéantit tout quand elle explose et contamine ensuite pendant des décennies. Tout est devenu empoisonné. Le corps recèle la mémoire de cette violence et il devient un ennemi."
La grande majorité des victimes qu’elles soient des enfants ou des adultes, n’ont pas pu parler des violences subies avant plusieurs années, voire des dizaines d’années :

  • par peur de représailles et loi du silence imposée, les agresseurs sont presque toujours des personnes connues des victimes et peuvent faire pression sur elles, les menacer, les manipuler ou les culpabiliser pour les empêcher de parler. Souvent l’entourage fait également pression sur les victimes pour protéger l’image du groupe, de la famille, de l’institution, de l’entreprise, etc. Les victimes peuvent être terrorisées à l’idée de parler, de se retrouver confrontées à l’agresseur. Elles peuvent avoir peur d’être exclues, de perdre leur travail, d’avoir ses études ou sa carrière bloquées, etc.
  • par peur des réactions de l’entourage, peur de ne pas être crues et d’être mises en cause, souvent à juste titre malheureusement, car beaucoup de personnes et de professionnels censés les aider et les prendre en charge sont contaminées par des stéréotypes catastrophiques qui font que la victime est fréquemment soupçonnée de mentir, d’être responsable de ce qui lui est arrivé, d’avoir été consentante, de vouloir se venger, c’est ce qu’on appelle la culture du viol. De plus elles se retrouvent souvent très seules, sans soutien et elles n’ont pas la force de prendre ce risque. Souvent elles ont essayé de parler autour d’elles auparavant, à des proches, des collègues mais personne n’a entendu, n’a réagi ou ne les a crues, elles se sont donc tues ensuite.
  • par culpabilité et honte, sentiments crées de toute pièce par la stratégie des agresseurs et souvent par l’entourage, voire par une bonne partie de la société qui prend fait et cause pour l’agresseur et culpabilise la victime : c’est de sa faute, elle l’a bien cherché et mérité, elle l’a bien provoqué, puisqu’elle n’a pas crié, qu’elle ne s’est pas défendu, qu’elle n’en a pas parlé tout de suite c’est qu’elle le voulait bien ou c’est inventé, etc. La victime pense qu’elle est responsable de ce qu’elle a subi. Souvent, les victimes pensent être les seules dans leur cas et que c’est elles qui ont dû provoquer les violences, qu’elles en sont responsables. Elles ne comprennent pas les réactions traumatiques (sidération, dissociation) qui les ont paralysées, privées de leurs capacités et empêchées de se défendre. De plus, les violences sexuelles en atteignant gravement leur estime de soi font qu’elles ne vont pas sentir légitime de faire valoir leurs droits.
  • par difficulté à identifier et qualifier ce qu’elles ont subi et méconnaissance de leurs droit et de la loi, par exemple quand on est victime de viols conjugaux, qu’on n’est pas informé sur la loi et qu’on pense être obligé de se soumettre au "devoir conjugal" (cela explique pourquoi les victimes de viol conjugal ne sont que 2% à porter plainte), autre exemple les faits de violence sont souvent sous-estimés, beaucoup de personnes ne savent pas qu’embrasser de force ou toucher les seins ou les fesses est une agression sexuelle, de même beaucoup ne savent pas qu’une pénétration digitale contrainte est un viol.
  • par incompréhension et impossibilité de mettre des mots ce qui s’est passé, parce qu’elles sont trop jeunes, trop handicapées dépendantes de l’agresseur et sous son autorité, ce qui est le cas des enfants et des personnes vulnérables, en situation de grand handicap, des patients face aux soignants…
  • par situation d’emprise. Tant que la victime subit des violences et reste en contact avec l’agresseur, elle est traumatisée en permanence avec un stress extrême et la mise en place de mécanismes neurobiologique de survie qui font disjoncter les circuits émotionnels ce qui entraîne un état dissociatif avec une anesthésie émotionnelle et sensorielle, la victime se retrouvant déconnectée, en mode automatique, avec une pseudo-tolérance et indifférence à ce qui lui arrive, dans un sentiment d’irréalité, qui rend toute analyse de sa situation et toute démarche impossible.
  • par amnésie traumatique, qui nous l’avons vu est un phénomène dissociatif fréquent chez les victimes de violences sexuelles d’autant plus si elles sont toujours exposées aux agresseurs ou à leurs complices.
  • du fait de l’intensité de l’impact psychotraumatique (95% des victimes disent qu’elles ont un impact sur leur santé mentale) de la mémoire traumatique des violences qui fait que le moindre lien, la moindre évocation des violences peut générer une terreur et une très grande détresse insurmontables, en leur faisant revivre à l’identique de façon non contrôlée les violences, ce qui entraîne des conduites d’évitement. Il leur est très difficile de parler des violences qu’elles ont subies sans avoir des attaques de panique et sans être envahies par les propos culpabilisants et méprisants des agresseurs ("c’est de ta faute", "tu l’as bien cherché", "tu l’as voulu", "personne te croira ou te viendra en aide car tu vaux rien", etc.) ou sans se dissocier à nouveau.
  • du fait de la dissociation traumatique, mécanisme de sauvegarde qui, comme nous l’avons vu les déconnecte de leur émotions et de leur ressenti, les victimes sont comme en mode automatique, avec une pseudo-tolérance et indifférence à ce qui leur arrive, avec un sentiment d’irréalité, sans repères temporo-spaciaux fiables, ce qui rend toute analyse de sa situation et toute démarche impossible, ce qui ne leur permet pas de se défendre ni d’avoir les ressources pour dénoncer ce qu’elles ont subi.

Hélène témoigne sur notre blog Stop au déni : « Tout cela a duré, duré, duré ». Cela a duré plus de trente ans, dans ce silence étouffant, cette chape de plomb imposée parce que cela dérange trop. « N’en parle pas à ton père, cela lui ferait trop de mal » ; « n’en parle pas à ton amoureux, cela le ferait fuir » ; « n’en parle pas à ton médecin, cela ne le regarde pas, on ne dévoile pas comme cela sa vie « intime » à un inconnu » . Bref, surtout, tais-toi et oublie, passe à autre chose, regarde devant, arrête de ressasser, de ruminer, de cauchemarder, de douter de tout, de couper les cheveux en quatre, de te poser en victime. Arrête d’être toi.»

La stratégie de l’agresseur et le déni de la société sont au cœur de cette impossibilité pour les enfants et les adultes victimes de parler. Sans prise en compte de la parole des victimes pas de violences reconnues, pas d’agresseurs à dénoncer ni à poursuivre (moins de 10% des victimes porteront plainte), pas de solidarité à mettre en œuvre : circulez il n’y a rien à voir ! Chacun peut continuer à s’illusionner ou à être complice du système agresseur.

Il faut aider les victimes à parler, pour cela il faut communiquer sur la réalité des violences sexuelles et sur leur conséquences, informer sur la loi, les droits des personnes, il faut, et c’est essentiel, leur poser des questions.

Une autre victime sur notre blog nous parle de la difficulté à être entendue « C’est une souffrance d’entendre dire qu’il faut parler, nous qui cherchons sans cesse à qui et où parler. Dès que nous ouvrons le bec on nous le ferme vite fait et on se débarrasse : allez, ciao et bon courage. Alors s’il vous plait, allez… apprenez, apprenez… mais apprenez donc à nous écouter ! ».
Et quand elles arrivent à parler, il faut les écouter, les croire, reconnaître les violences sexuelles subies et les traumas qu’elles présentent, les protéger, être solidaire et leur apporter protection, soutien et soin. Il est très important de leur donner des informations et d’expliquer les mécanismes psychologiques et neurobiologiques psychotraumatiques pour que les victimes comprennent ce qui leur arrivent, pour qu’elles puissent se déculpabiliser et avoir une boîte à outils pour mieux se comprendre.

Alors que ces conséquences sont universelles et peuvent être aggravées par des vulnérabilités spécifiques à la victime (tout comme une blessure par arme blanche peut-être aggravée par une hémophilie). Elles ont beau être bien connues depuis des décennies, prouvées par des études scientifiques internationales, visibles sur des IRM, elles restent méconnues, et ne sont toujours pas enseignées en France, les médecins n’y sont toujours pas formés ni en formation initiale, ni en continue. Avec comme résultat qu’elles vont être le plus souvent considérées comme à charge pour la victime.
Il y a en France une tradition de sous-estimation des violences faites aux mineurs, de leur gravité et de leur fréquence. Une tradition de banalisation d'une grande partie de celles-ci, à laquelle nous l’avons vu, s'ajoute une méconnaissance de la gravité des conséquences sur la santé des violences. Il y a également une méconnaissance des conséquences sociales des violences sur l'apprentissage, sur les capacités cognitives, sur la socialisation, sur les risques de conduites asociales et de délinquance, sur les risques d'être à nouveau victime de violences ou d'en être auteur et une stigmatisation des troubles de la conduite et des troubles du comportement des enfants et des adolescents, troubles qui masquent une souffrance non reconnue, ainsi qu'une banalisation de signes de souffrance mis sur le compte de la crise d'adolescence, de la personnalité de la victime, de son sexe, ou à l'inverse une dramatisation de symptômes psychotraumatiques (mémoire traumatique, dissociation traumatique) souvent étiquetés à tort uniquement comme des troubles névrotiques anxieux ou bien dépressifs, des troubles de la personnalité (border-line, sensitive, asociale), et parfois étiquetés psychotiques (psychose maniaco-dépressive, schizophrénie, paranoïa, etc.) et traités abusivement comme tels et non comme des conséquences traumatiques qu’il faut traiter. De même les conduites d’évitement et de contrôle sur la pensée associés aux troubles dissociatifs chez les enfants et les adolescents peuvent être tellement envahissant, et entraîner une telle inhibition du contact et de la parole, qu’ils peuvent être pris pour des déficits intellectuels ou des troubles d’allure autistique, ce qu’ils ne sont pas bien sûr. Tous ces troubles sont régressifs dès qu’une prise en charge de qualité permet de traiter la mémoire traumatique.

La méconnaissance de tous ces mécanismes psychotraumatiques, l’absence de soins, participent à l’abandon où sont laissées les victimes, à la non-reconnaissances de ce qu’elles ont subi, et à leur culpabilisation. Les victimes condamnées à organiser seules leur protection et leur survie, sont considérées comme responsables de leur propres malheurs.
Lorsque les victimes ne sont pas repérées, elles ne reçoivent ni la protection ni les soins nécessaires, mais en plus elles sont culpabilisées, voire maltraitées. Elles se retrouvent isolées, souvent exclues, voire marginalisées, à subir de nouvelles violences. Alors que les soins sont efficaces, la plupart des victimes n’en bénéficient pas et développent des symptômes traumatiques, qui les poursuivent tout au long de leur vie. L’absence de prise en charge est donc une perte de chance considérable pour la victime et un véritable scandale de santé publique. Il est urgent d’informer tout le monde sur les conséquences des violences sexuelles sur la santé et de former tous les professionnels impliqués dans la lutte contre les violence et l’accompagnement des victimes à ces conséquences et à leur repérage, et de former les professionnels de la santé au soin et à la prise en charge des violences sexuelles.
Le constat est sans appel, le coût humain des violences sexuelles et en particulier de celles commises sur les mineur-e-s est alarmant. Il s’agit d’un véritable scandale de santé publique et d’une atteinte aux droits des victimes à bénéficier de soins, de protection et de justice.

Il est essentiel de lutter contre cette loi du silence et ce déni, le livre de Flavie Flament y participe.
Et nous espérons avec elle que les victimes de violences sexuelles soient enfin entendues, reconnues et protégées, et qu’elles puissent avoir accès à des soins spécialisés et à la justice.
Et nous rêvons avec elle qu’un grand mouvement de solidarité se fasse jour, qu’il n’y ait plus aucune tolérance pour ces violences avec la mise en place d’une politique très ambitieuse pour lutter véritablement contre elles et pour protéger et prendre en charge les victimes.
Aussi, avec Flavie Flament qui, avec 20 associations et ONG a co-signé notre Manifeste, nous demandons que les crimes sexuels et les délits sexuels aggravés soient imprescriptibles, et qu’un plan de lutte, de protection et de prise en charge des victimes, exceptionnel soit mis en place en urgence par les pouvoirs publics. Pour cela vous pouvez soutenir, en le signant, notre manifeste :
Pour une imprescriptibilié des crimes sexuels et des délits sexuels aggravés : lien externe

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